Jasper 587 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Corrigez les fautes : Incendie de SinopeL'embrazement de la Ville de Sinope estoit si grand, que tout le Ciel ; toute la Mer ; toute la Plaine ; et le haut de toutes les Montagnes les plus reculées, en recevoient une impression de lumiere, qui malgré l'obscurité de la nuit, permettoit de distinguer toutes choses. Jamais objet ne fut si terrible que celuylà : l'on voyoit tout à la fois vingt Galeres qui brusloient dans le Port ; et qui au milieu de l'eau dont elles estoient si proches, ne laissoient pas de pousser des flames ondoyantes jusques aux nuës. Ces flames estant agitées par un vent assez impetueux, se courboient quelquefois vers la plus grande partie de la Ville, qu'elles avoient desja toute embrazée ; et de laquelle elles n'avoient presque plus fait qu'un grand bûcher. L'on les voyoit passer d'un lieu à l'autre en un moment ; et par une funeste communication, il n'y avoit quasi pas un endroit en toute cette déplorable Ville, qui n'esprouvast leur fureur. Tous les cordages, et toutes les voilles, des Vaisseaux et des Galeres, se destachans toutes embrazées, s'eslevoient affreusement en l'air, et retomboient en estincelles, sur toutes les maisons voisines. Quelques unes de ces maisons estant desja consumées, cedoient à la violence de cét impitoyable vainqueur ; et tomboient en un instant, dans les Ruës et dans les Places, dont elles avoient esté l'ornement. Cette effroyable multitude de flames, qui s'élevoient de tant de divers endroits ; et qui avoient plus ou moins de force, selon la matiere qui les entretenoit, sembloient faire un combat entr'elles, à cause du vent qui les agitoit ; et qui quelques-fois les confondant et les separant, sembloit faire voir en effet, qu'elles se disputoient la gloire de destruire cette belle Ville. Parmy ces flames esclattantes, l'on voyoit encore des tourbillons de fumée, qui par leur sombre couleur adjoustoient quelque chose de plus terrible, à un si espouvantable objet : et l'abondance des estincelles, dont nous avons desja parlé, retombant à l'entour de cette Ville, comme une gresle enflamée, faisoit sans doute que l'abord en estoit affreux. Au milieu de ce grand desordre, et tout au plus bas de la Ville, il y avoit un Chasteau, basty sur la cime d'un grand Rocher qui s'avançoit dans la Mer, que ces flames n'avoient encore pû devorer : et vers lequel toutefois, elles sembloient s'eslancer à chaque moment, parce que le vent les y poussoit avec violence. Il paroissoit que l'embrazement devoit avoir commencé par le Port ; puis que toutes les maisons qui le bordoient, estoient les plus allumées, et les plus proches de leur entiere ruine, si toutefois il estoit permis de mettre quelque difference, en un lieu où l'on voyoit esclater par tout, le feu et la flame. Parmy ces feux et parmy ces flames, l'on voyoit pourtant encore quelques Temples et quelques maisons, qui faisoient un peu plus de resistance que les autres ; et qui laissoient encore assez voir de la beauté de leur structure, pour donner de la compassion, de leur inevitable ruine. Enfin ce terrible Element détruisoit toutes choses ; ou faisoit voir ce qu'il n'avoit pas encore détruit, si proche de l'estre ; qu'il estoit difficile de n'estre pas saisi d'horreur et de pitié, par une veuë si extraordinaire et si funeste. Ce fut par cét espouvantable objet, que l'amoureux Artamene (apres estre sorty d'un valon, tournoyant et couvert de bois, à la teste de quatre mille hommes) fut estrangement surpris. Aussi en parut-il si estonné, qu'il s'arresta tout d'un coup : et sans sçavoir si ce qu'il voyoit estoit veritable ;et sans pouvoir mesme exprimer son estonnement, par ses paroles ; il regarda cette Ville ; il regarda le Port ; il jetta les yeux sur cette Mer, qui paroissoit toute embrazée, par la reflexion qu'elle recevoit des Nuës, que ce feu avoit toutes illuminées ; il regarda la Plaine et les Montagnes ; il tourna ses yeux vers le Ciel ; et sans pouvoir ny parler, ny marcher, il sembloit demander à toutes ces choses, si ce qu'il voyoit estoit effectif, ou si ce n'estoit point une illusion. Hidaspe, Chrisante, Aglatidas, Araspe, et Feraulas, qui estoient les plus proches de luy, regardoient cét embrazement, et n'osoient regarder Artamene ; qui poussant enfin son cheval sur une petite eminence, où ils le suivirent ; vit et connut si distinctement, que cette Ville qui brusloit, estoit celle-là mesme qu'il pensoit venir surprendre cette nuit, par une intelligence qu'il y avoit, afin d'en tirer sa Princesse, que le Roy d'Assirie y tenoit captive ; que tout d'un coup s'emportant avec une violence extréme ; Quoy injustes Dieux, s'écria t'il, il est donc bien vray que vous avez consenti à la perte de la plus belle Princesse qui fut jamais ? et que dans le mesmne temps que je croyois sa liberté infaillible, vous me faites voir sa perte indubitable ? En disant cela il s'avança encore un peu davantage : et n'estant suivi que de Chrisante et de Feraulas, Helas mes Amis (leur dit il en commençant de galoper, et commandant que tout le suivist) quel pitoyable destin est le mien, et à quel effroyable spectacle m'a t'on amené ? Allons du moins, allons mourir dans les mesmes flames, qui ont fait perir nostre illustre Princesse. Peut-estre (poursuivoit il en luy mesme) que ces flames que je voy, viennent d'achever de reduire en cendre, mon adorable Mandane. Mais que dis-je, peut-estre ? Non, non, ne mettons point nostre malheur en doute, il est desja arrivé ; et les Dieux n'ont pas permis un si grand embrazement pour la sauver. S'ils eussent voulu ne la perdre pas, ils auroient souslevé les vagues de la Mer, pour esteindre ces cruelles flames, et ne l'auroient pas mise en un si grand danger. Mais helas ! s'écrioit il, injuste Rival, n'as tu point songé à ta conservation plustost qu'à la sienne, et n'as tu point causé sa perte par ta lascheté ? Si je voyois ma Princesse (adjoustoit il en se tournant vers Chrisante) entre les mains d'un Prince, à la teste de cent mille hommes, et que ce Prince la voulust sacrifier à mes yeux, je ne serois pas si desesperé, j'aurois un ennemy que je pourrois du moins attaquer, si je ne le pouvois vaincre : Mais icy, je n'ay rien à faire, qu'à m'aller jetter dans ces mesmes flames, qui ont desja confumé ma Princesse. En disant cela, il s'avançoit encore davantage : et apres avoir esté quelque temps sans parler ; Ha Ciel ! (s'ecrioit il tout d'un coup, voyant qu'il n'y avoit que Chrisante qui le peust entendre) ne seroit-je point la cause de la mort de ma Princesse ? n'est-ce point pour l'amour de moy qu'elle a elle mesme embrazé cette Ville, plustost que de manquer de fidelité, au malheureux Artamene ? Ha Dieu ! s'il est ainsi, je suis digne de mon infortune ; et je merite tous les maux que je ressens. Chrisante voyant qu'il avoit cessé de parler, s'approcha de luy, pour tascher de luy donner quelque legere consolation : mais Artamene marchant tousjours ; et le regardant d'une maniere capable de donner de la compassion aux personnes les plus insensibles ; Non, non, luy dit-il, Chrisante, ce malheur n'est pas de ceux dont l'on peut estre consolé : et je n'ay qu'une voye à prendre, que je suivray sans doute bien tost. Ouy, Chrisante, j'auray du moins cette funeste consolation, que ce mesme feu qui a peut-estre bruslé ma Maistresse et mon Rival ; qui a confondu l'innocence et le crime ; et qui m'a privé tout ensemble, de l'objet de ma haine, et de celuy de mon amour, achevera encore de me détruire ; et meslera du moins mes Cendres, avec celles de mon adorable Princesse. en disant cela, il sembloit avoir toutes les marques d'un prochain desespoir sur le visage : sa voix avoit quelque chose de triste et de funeste : et toutes ses actions tesmoignoient assez, qu'il se preparoit à mourir. Cependant la pointe du jour venant à paroistre ; et l'approche du Soleil, diminuant quelque chose, de l'horreur de cét embrazement ; parce que la Mer, la Plaine, et les Montagnes, reprenoient une partie de leurs couleurs naturelles ; la face de cette funeste Scene, changea en quelque façon : et Feraulas vit presque en mesme temps deux choses, qu'il fit remarquer au mesme instant à son cher Maistre. Seigneur, luy dit-il, ne voyez vous pas en Mer, une Galere qui vogue, et qui semble faire beaucoup d'effort pour s'esloigner de cette malheureuse Ville ? Et ne voyez vous pas encore, comme quoy il semble que l'on ne songe qu'à esteindre le feu qui s'approche de cette grosse Tour, qui est sur le portail du Chasteau, et que l'on abandonne tout le reste pour la conserver ! Je voy l'un et l'autre, respondit Artamene ; Je ne sçay, adjousta Chrisante, si ce n'est point une marque asseurée, que la Princesse n'a pas encore pery : puis qu'il peut estre, qu'elle est dans cette Galere, ou dans cette Tour, que les flames n'ont pas encore embrazée. Helas ! (s'escria tout d'un coup Artamene) s'il estoit ainsi, que je serois heureux, de pouvoir conserver quelque espoir ! Il s'approcha alors beaucoup plus prés de la Ville : et voyant effectivement qu'il y avoit plusieurs personnes qui taschoient d'empescher le feu d'approcher de cette Tour ; Travaille (s'écria t'il en redoublant sa course) trop heureux Rival ; travaille pour le salut de nostre Princesse : et sois asseuré si tu la peux sauver de ce peril, que je te pardonne tous les maux que tu m'as faits. Ce Prince ne demeuroit pourtant pas long temps dans un mesme sentiment : tantost il faisoit des voeux pour sa Maistresse : tantost des imprecations contre son Rival. Un moment apres, regardant cette Galere, et luy semblant y remarquer des femmes sur la poupe, il s'en resjoüissoit beaucoup : puis venant à songer que quand ce seroit sa Maistresse, elle seroit tousjours perduë pour luy ; il rentroit dans son desespoir. Apres venant à considerer cette Tour, que la Mer et les flames environnoient de toutes parts ; et venant à penser, que peut-estre sa Princesse estoit enfermée en ce lieu-là, il changeoit de sentimens tout d'un coup ; et ces mesmes Troupes, qui estoient venuës pour détruire cette Ville, eurent commandement d'aider à en esteindre le feu. Artamene donc ne pouvant se resoudre de retourner sur ses pas, envoya Feraulas commander aux siens, de marcher en diligence, et de le suivre. Mais en approchant de Sinope, l'on sentoit un air si chaud et si embrazé ; et l'on entendoit un bruit si espouvantable, que tout autre qu'Artamene n'auroit jamais entrepris d'y aller. Le mugissement de la Mer ; le murmure du Vent ; le petillement de la flame, joint au bruit affreux, de la chutte des maisons entieres qui crouloient de fonds en comble ; et à toutes les plaintes, et à tous les cris que jettoient les mourants ; ou ceux que la peur d'une mort prochaine faisoit crier, causoient une confusion espouventable. De tous ces mugissemens, dis-je ; de tous ces murmures ; de tous ces cris ; de toutes ces chuttes de maisons, et de toutes ces plaintes, il se formoit un bruit si lugubre et si esclatant, que tous les Echos des Montagnes y respondans encore, en formoient une harmonie tres-funeste, s'il est permis d'appeller harmonie, un retentissement si rempli de confusion. Cela n'empescha pourtant pas Artamene de se faire entendre : car estant desja assez proche de la Ville, en un lieu où tous les siens l'avoient joint ; il se tourna vers eux, et leur dit avec une affection inconcevable ; Imaginez vous, mes Compagnons, que c'est moy qui suis dans cette Tour ; que c'est moy qui suis dans la necessité de perir, parmy les eaux, ou parmy les flames ; et que c'est à moy enfin à qui vous allez sauver la vie. Ou pour mieux dire encore, imaginez vous que vostre Roy ; vostre Princesse ; vos Femmes ; vos Peres ; et vos Enfans ; sont enfermez dans cette Tour avec Artamene, et y vont perir ; afin qu'estans poussez par des sentimens si tendres, vous agissiez avec plus de courage, et avec plus de diligence. Il faut, mes Compagnons, il faut aujourd'huy faire, ce qui n'a peut-estre jamais esté fait : il faut perdre nos ennemis, et les sauver ; il faut les combattre d'une main, et les secourir de l'autre ; et bref il faut faire toutes choses pour conserver une Princesse, qui doit estre vostre Reine ; et qui merite de l'estre de toute la Terre. A ces mots, Chrisante, Araspe, Aglatidas, et Hidaspe, qui commandoient chacun mille hommes en cette occasion ; s'approcherent d'Artamene, pour recevoir ses derniers ordres : et Feraulas qui estoit l'Agent de l'entreprise, et celuy qui avoit intelligence dans Sinope ; et auquel Artucas avoit promis de livrer une des Portes de la Ville cette mesme nuit ; fut aussi de ce conseil : et ce fut luy qui dit qu'il ne faloit pas laisser d'agir de la mesme façon, que si cette Ville n'estoit pas embrazée : et qu'ainsi sans chercher d'autres expediens, il faloit sans doute marcher droit à la porte du Temple de Mars. Parce, dit il, que si par hazard cét embrazement n'a pas encore mis toute la Ville en confusion ; par tout autre lieu que par celuy-là, nous pourrions trouver de la resistance : la coustume estant mesme en de semblables rencontres, de redoubler la Garde, de peur que l'incendie ne soit un artifice des ennemis, où au contraire nous sommes assurez de n'en trouver aucune par cét endroit : car si Artucas et les siens n'ont pas encore esté devorez par les flames, nous les trouverons prests à nous aider : et s'ils ont peri, aparemment nous ne trouverons là personne quï s'oppose à nostre passage. Cét aduis ayant esté trouvé raisonnable, ils resolurent apres, par quel lieu ils pourroient le plus commodément gagner le pied de la Tour : mais Aglatidas leur fit remarquer, que l'embrazement commençoit de diminuer du costé du Port ; parce que des Galeres et des Vaisseaux estans plustost consumez que des maisons, il faloit sans doute que le feu s'y esteignist plus tost qu'ailleurs ; et qu'ainsi il faloit prendre tout le long du Port ; afin de n'avoir presque plus à se garantir que d'un costé, et que par ce moyen, ils pourroient arriver avec assez de facilité au pied de la Tour. Artamene qui souhaittoit impatiemment d'y estre, ne voulut contredire à rien, de peur de les arrester davantage ; et se mit à marcher le premier ; commandant seulement aux siens, de crier par toute la Ville, qu'ils ne venoient que pour sauver la Princesse : afin que ce peuple entendant un Nom qui luy estoit si cher et si precieux, peust faire moins de resistance ; et mettre moins d'obstacle à leur dessein. Ils marcherent donc ; et Feraulas conduisant Artamene, (qui avoit mis pied à terre, aussi bien que tous ses Capitaines) à la porte du Temple de Mars ; ils y trouverent celuy qu'ils cherchoient : qui desesperé qu'il estoit, qu'Artamene devst arriver ; (car la veüe de ce funeste embrazement, l'avoit beaucoup retardé) commençoit de ne songer plus qu'à se mettre à couvert de la violence des flames. Mais il n'eut pas plustost veû ceux qu'il attendoit, qu'il fit ouvrir la porte, où il estoit peu accompagné : parce que malgré luy, une grande partie des siens estoit allé voir en quel estat estoient leurs Maisons ; leurs Peres ; leurs Enfans ; ou leurs Femmes. Ils n'eurent donc aucune peine à se rendre Maistres de cette porte : mais ils en eurent bien davantage, à se garantir du feu qu'ils trouvoient par tout. Artamene en marchant dans ces Ruës toutes enflamées, fut plusieurs fois exposé, à se voir accabler par la chutte des maisons : et si cét objet luy avoit semblé terrible par le dehors de la Ville, il luy sembla espouvantable par le dedans. Ils marchoient l'espée à la main droite, et le bouclier à la gauche ; dont ils eurent plus de besoin de se servir pour repousser les charbons ardants qui tomboient de toutes parts sur leurs testes ; que pour recevoir les traits de leurs Ennemis. Ce n'est pas que d'abord l'arrivée d'Artamene ne redoublast les cris et l'estonnement, parmy ce qui restoit de personnes vivantes dans cette Ville : et que ce Heros n'en vist plusieurs, qui estans occupez à esteindre le feu de leurs propres logemens, ou à sauver leurs familles ; quittoient cét office charitable, pour tascher de se rassembler, et de faire quelque resistance. Mais ils ne trouvoient dans ce grand desordre, ny armes, ny Chefs, ny compagnons capables de s'opposer à son passage. L'on voyoit en un lieu des gens qui abatoient leurs propres maisons, pour sauver celles de leurs voisins : l'on en voyoit d'autres qui jettoient ce qu'ils avoient de plus precieux par les fenestres, pour tascher d'en sauver au moins quelque chose : l'on voyoit des Meres, qui sans se soucier ny de meubles, ny de maisons, s'enfuyoient les cheveux desja à demy bruslez, avec leurs enfans seulement entre les bras : Enfin l'on voyoit des choses si pitoyables et si terribles tout ensemble ; que si Artamene n'eust pas esté emporté comme il l'estoit, par une passion violente ; il se fust arresté à chaque pas pour les secourir, tant ils estoient dignes de compassion, et tant il estoit sensible à leur misere. Cependant il avançoit tousjours : mais le bruit de sa venuë l'ayant pourtant devancé ; Aribée Gouverneur de Sinope, qui faisoit tous ses efforts, pour empescher que le feu ne gagnast la Tour, et qui occupoit en ce lieu, la meilleure partie de ce qui restoit de peuple et de soldats dans la Ville ; ne le sçeut pas plustost, qu'il se trouva dans une inquietude inconcevable ; et dans une incertitude, qu'on ne sçauroit exprimer : ne sçachant s'il devoit aller combattre, ou s'il devoit continuer de faire esteindre ce feu. Car, disoit il, que servira au Roy d'Assirie que je vainque, s'il est vaincu par les flames ? Mais que me servira t'il aussi à moy mesme d'esteindre ce feu, adjoustoit il, si je suis pris par Artamene ? moy qui suis son plus grand ennemy ; moy qui ay trahy le Roy mon Maistre ; moy qui ay servi à l'enlevement de la Princesse sa Fille ; et qui ay fait revolter ses Peuples. Ha ! non non, combattons Artamene, qui est aussi redoutable au Roy d'Assirie, que le feu et que les flames : et songeons à nostre conservation, en pensant à celle d'autruy. En disant cela, il commanda à ceux qui esteignoient le feu, et qui par des machines dont ils se servoient, taschoient de luy couper chemin, en abatant les maisons voisines, où il s'estoit attaché ; de prendre des armes s'ils en avoient ; d'en aller chercher en diligence s'ils n'en avoient point ; ou de s'en faire de tout ce qu'ils rencontreroient ; et mesme du feu et des flames ; plustost que de ne le secourir pas. Apres donc qu'Artamene eut traversé une partie de cette Ville embrazée ; et qu'ayant marché tout le long du Port, il fut arrivé proche de la Tour ; il fut bien surpris de voir que personne ne travailloit plus pour esteindre le feu, et qu'Aribée s'avançoit pour le combattre. Quoy, s'écria-t'il, je viens pour esteindre ces flames, et ce sera moy qui empescheray qu'on ne les estéigne ? Ha ! non non, mes Compagnons, il ne le faut pas. En disant cela, il commanda à une partie de siens, de songer à faire ce que les autres ne faisoient plus ; pendant qu'il combatroit ceux qui sembloient en avoir envie. Comme il estoit en cét estat, et qu'il s'avançoit vers le gros, à la teste duquel estoit Aribée ; il leva les yeux vers le haut de la Tour : et y reconnut le Roy d'Assirie : qui par une action toute desesperée, sembloit n'avoir autre dessein, que de choisir s'il se jetteroit dans les flames ou dans la Mer. Cette veuë ayant encore confirmé Artamene, dans la croyance que sa Maistresse n'estoit pas morte ; il redoubla les commandemens qu'il avoit desja faits, d'esteindre ce feu ; et marcha teste baissée vers ses Ennemis, qui venoient à luy, avec assez de resolution. Comme il fut proche d'eux, et qu'il reconnut distinctement qui estoit leur Chef ; Aribée, luy cria t'il, je ne viens pas aujourd'huy pour te combatre, et pour te punir : et il ne tiendra qu'à toy, que je n'obtienne ton pardon du Roy des Medes, si tu veux mettre les armes bas ; et m'ayder à, sauver ta Princesse et la mienne. Mais Aribée, qui croyoit son crime trop grand, pour luy pouvoir estre jamais pardonné ; et qui de plus, avoit appris une chose, qu'Artamene ignoroit encore ; au lieu de luy respondre, s'eslança vers luy l'espée haute, et commença un combat au milieu des feux et des flames ; qui n'estoit pas moins redoutable, par ce qui tomboit d'enhaut, que pour les coups qui partoient de la main d'un Ennemy invincible ; que l'Amour, la Haine, et la Vangeance, rendoient encore plus vaillant qu'à 1'accoustumée ; quoy qu'il fust toujours le plus vaillant homme du monde. Hidaspe, Artucas, Chrisante, Aglatidas, et Araspe ; se rangerent aupres d'Artamene : car pour Feraulas, ce fut luy qui eut ordre de faire continuer d'esteindre le feu. Ainsi le Roy d'Assirie voyoit tout à la fois, travailler à son falut et à sa perte ; vouloir sauver sa vie, et vaincre celuy qui l'avoit servi. Encore (disoit Artamene en luy mesme, et en jettant les yeux vers le haut de la Tour, où il voyoit tousjours son Rival) si ma Princesse regardoit ce que je fais pour la sauver, je serois bien moins malheureux : et si j'estois asseuré qu'elle vist ma mort, ou ma victoire, je n'aurois presque rien à desirer. Cependant la meslée se commence, et se continuë fort chaudement : et sans qu'Artamene cesse de fraper, il ne laisse pas d'avoir soin de voir si Feraulas fait bien executer ses ordres. Enfin dans cette confusion, il s'attache en un combat particulier contre Aribée, qui fut dangereux et opiniastré : car quoy que ce traistre eust en teste le plus redoutable des hommes, le desespoir faisoit en luy, ce que la valeur n'auroit pû faire en un autre. Neantmoins comme au contraire, Artamene combatoit alors avec espoir ; et qu'il estoit persuadé, qu'il n'y avoit plus que quelques murailles entre sa Princesse et luy ; il fit des choses prodigieuses. Il tua tout ce qui s'opposa à son passage ; et blessa Aribée en tant de lieux, qu'enfin il se seroit sans doute resolu de se rendre ; si tout d'un coup une maison enflamée ne fust tombée si prés du lieu où ils combatoient, qu'Aribée en fut enseveli sous ses ruines : et l'on creut qu'il avoit peri par le fer et par le feu, pour expier une rebellion criminelle, qui meritoit tous les deux ensemble. Artamene qui n'avoit pû estre blessé par son Ennemy, pensa estre accablé en cette rencontre, et se vit tout couvert de flame ; tout environné de charbons et de fumée : et s'il n'eust mis son Bouclier sur sa teste, il estoit infailliblement perdu. Toute sa Cotte d'armes en fut à demy bruslée : et peu s'en falut qu'il ne perist en cette rencontre. La chutte de cette maison, fit qu'il s'esleva en l'air une poussiere si espaisse : une fumée si noire ; et une nuée d'estincelles si bruslantes, que l'on fut quelque temps sans pouvoir rien voir de tout ce qui se passoit en ce lieu là. Ce qui surprit Artamene en cette occasion, fut que lors que cette maison embrazée tomba, Aribée, qui à ce qu'on pouvoit juger par son action, avoit eu dessein de se rendre, s'estoit reculé de quatre ou cinq pas : si bien que par là, il sembloit estre allé au devant de ce qui le devoit accabler : et par un miracle de la Fortune, Artamene, qui le touchoit de la pointe de son espée, ne se trouva pourtant point engagé sous ces perilleuses ruines. Apres cét accident, tout ce qui le secondoit s'estonna et s'enfuit : et nostre Heros faisant crier ; et leur criant luy mesme, qu'il venoit pour les servir, et qu'il ne vouloit point leur perte ; les obligea enfin à jetter leurs armes ; et à se fier en la parole d'un Vainqueur, qui'ls avoient autre-fois tant aymé. ainsi en fort de peu temps, tout le monde se trouva d'un mesme Parti : et Artamene encourageant les siens, et leur monstrant par son exemple, ce qu'il faloit faire pour esteindre le feu ; ce Peuple fut ravi de voir de charitables Ennemis. Ils abatirent des maisons avec des Beliers : ils employerent leurs Boucliers à jetter de l'eau, sur tout ce qui tomboit d'enflamé, de peur que cela n'embrazast ce qui ne l'estoit pas encore ; et enfin ils n'oublierent rien, de tout ce qu'ils jugerent qui pouvoit servir. Tous les Chefs firent des miracles en cette journée : mais entre les autres, Aglatidas sembloit avoir eu dessein, de chercher plustost la mort que la victoire ; tant il s'estoit courageusement exposé à la fureur des flames, et au desespoir des Ennnemis. Cependant Artamene voyant que le feu commençoit de diminuër, se resjoüissoit en luy mesme, dans l'esperance qu'il avoit, de revoir bien tost sa chere Princesse. Elle est, disoit-il en son coeur, dans cette Tour : et si je ne suis le plus malheureux des hommes, je verray dans quelques moments, cette adorable personne : et j'entendray peut-estre sa belle bouche, m'appeller son Liberateur. Enfin, disoit il encore, je verray bien tost l'objet de ma haine et de mon amour. En effet, le feu ayant esté esteint de ce costé là ; et estant arrivé à la porte de la Tour, qui commençoit desja de s'embrazer, il envoya s'asseurer de toutes les portes de la Ville ; mais comme il voulut faire enfoncer celle de cette Tour, ne sçachant s'il n'y trouveroit point encore quelque resistance ; il vit un homme de fort bonne mine qui la luy ouvrit ; et qui au lieu de luy en disputer l'entrée, comme il eust fait, s'il ne l'eust pas reconnu auparavant du haut des creneaux ; luy dit avec beaucoup de respect, Seigneur, si le Nom de Thrasibule n'est pas sorti de vostre mémoire, accordez luy la grace d'employer vostre authorité, pour empescher la perte d'une illustre Personne, que le desespoir va sans doute faire perir, sur le haut de cette Tour, si vous ne m'aydez à la secourir promptement. Artamene, qui creut que c'estoit sa Princesse, qui estoit en cette extremité, ne s'amusa pas à faire un long compliment, au genereux Thrasibule, qu'il reconnut d'abord à la voix ; Allons mon ancien vainqueur (dit il à ce fameux Pirate qui n'avoit point déguisé son veritable Nom, parce qu'estant fort commun parmi les Grecs, il ne pouvoit pas le faire reconnoistre) allons secourir cette personne illustre : et en disant ces paroles avec assez de precipitation ; il monta l'escalier, suivi de grand nombre des siens ; mais particulierement d'Hidaspe ; de Chrisante ; d'Aglatidas ; de Thrasibule, et de Feraulas : et tous, excepté Thrasibule, estoient estonnez de ne rencontrer point de Soldats dans cette Tour, et de n'en voir point dans le reste du Chasteau. Araspe par les ordres d'Artamene, demeura à la porte avec ses compagnons, afin de ne s'exposer pas mal à propos à quelque surprise. Ce Prince donc impatient de revoir sa Maistresse, marche le premier ; et devançant les autres d'assez loing, arrive au haut de cette Tour. Mais helas, quel desplaisir, et quel estonnement fut le sien ! lors qu'au lieu d'y voir sa Princesse, il n'y vit que le Roy d'Assirie ; c'est à dire le ravisseur de Mandane, son Rival et son Ennemi : mais un Ennemi sans armes, et accablé de douleur. Artamene se tourna alors vers Thrasibule, comme pour luy demander, si c'estoit là cette illustre personne, dont il luy avoit voulu parler ; et voyant que tous ceux qui l'avoient suivi, vouloient aussi estre sur le haut de cette Tour ; et prevoyant que sa conversation avec le Roy d'Assirie, ne seroit pas d'un stile à estre escoutée de tant de monde ; il leur fit signe qu'ils se retirassent, se preparant à demander où estoit sa Princesse ; croyant encore qu'elle pouvoit estre dans un Apartement plus bas, ou en quelque autre lieu du Chasteau. Mais il fut bien surpris d'entendre que le Roy d'Assirie luy dit ; Tu vois, Artamene, tu vois un Prince bien plus malheureux que toy ; puis qu'il est la cause de son malheur et du tien. Mais tu peux voir en mesme temps (adjousta t'il, en luy monstrant une Galere qui paroissoit en Mer, et qui n'estoit pas encore fort esloignée, parce qu'elle avoit le vent contraire) un autre ravisseur de nostre Princesse, bien plus criminel que moy ; puis qu'il m'avoit promis une amitié inviolable ; et que je ne t'avois jamais fait esperer nulle part en mon affection. Quoy (s'écria alors Artamene, en regardant cette Galere, et ne regardant plus son Ennemi ; (la Princesse n'est plus en tes mains ? Non, luy respondit le Roy d'Assirie en soupirant : le Prince Mazare, le plus infidelle de tous les hommes me l'enleve ; et t'oste le plus doux fruit de ta victoire. Mais puis que tu ne peux satisfaire ton amour, par la veuë de ta Princesse ; satisfaits du moins ta haine, par la vangeance que tu peux prendre de ton Rival. Tu vois que je ne suis pas en estat de t'en empescher ; et si j'avois pû ne suivre pas des yeux cette Galere, tant qu'elle paroistra le long de cette côste ; il y auroit desja long temps que je me serois jetté dans la Mer ou dans les flames, pour achever mes mal-heurs, et pour ne tomber pas entre les mains de mon Ennemi. Les Ennemis d'Artamene (luy respondit ce genereux affligé) n'ont rien à craindre de luy, que lors qu'ils ont les armes à la main : et l'estat où je te voy, te met à couvert de ma haine, et de mon ressentiment. A ces mots, Artamene se sentit si accablé de douleur, que jamais personne ne le fut davantage : il voyoit sa Maistresse une seconde fois enlevée, et ne pouvoit la suivre ny la secourir : puis que tous les vaisseaux et toutes les Galeres, qui estoient dans le Port, ayant peri par les flames, il n'estoit pas en sa puissance de suivre ce dernier ravisseur pour le punir. Il voyoit d'autre costé ton premier Rival en son pouvoir : mais il le voyoit seul et sans armes ; et sans autre dessein que celuy de songer à mourir. En ce pitoyable estat, desesperé qu'il estoit, par une affliction sans égale, comme sans remede ; il y avoit des momens où sa generosité n'estoit assez sorte, pour l'empescher de penser à satisfaire en quelque façon sa vangeance, par la perte de son Rival : il y en avoit d'autres aussi, où il n'en vouloit qu'à sa propre vie : et dans cette cruelle incertitude de sentimens, ne sçachant ce qu'il devoit faire, ny mesme ce qu'il vouloit faire ; il entendit le Roy d'Assirie qui luy cria, Tu vois, Artamene, tu vois que la Fortune te favorisé en toutes choses : que le vent s'estant renforcé, repousse cette Galere vers le rivage : et que peut-estre bien tost, tu reverras ta Princesse. Artamene regardant alors vers la Mer, vit effectivement que par la violence d'un vent contraire, cette Galere c'estoit si fort raprochée, que l'on pouvoit facilement distinguer des Femmes, qui paroissoient sur la Poupe : et remarquer en mesme temps, qu'avec un prodigieux et vain effort, la Chiurme faisoit ce que les Mariniers appellent Passe-vogue, pour resister aux vagues et aux vents ; et pour s'esloigner de la terre à force de rames. A cét instant, l'on vit de la joye dans les yeux d'Artamene : mais pour le Roy d'Assirie l'on ne vit que de la douleur, et du desespoir dans les siens ; sçachant bien que quand le vent repousseroit cette Galere dans le Port, ce ne seroit qu'à l'avantage d'Artamene, et que ce ne pouvoit estre au sien. Il s'imaginoit pourtant quelque espece de consolation, dans l'esperance qu'il concevoit, de pouvoir punir Mazare. Ne me permettras tu pas, dit il à Artamene, si les Dieux te redonnent ta Princesse, de t'espargner la peine de chastier ton ravisseur ? et ne souffriras tu pas que pour faire ce combat, l'on me donne une espée ? que je te promets de passer un moment apres ma victoire au travers de mon coeur, afin de te laisser joüir en paix, d'un bon heur que je te disputerois toujours, tant que je serois en vie. Cette vangeance me doit estre reservée, reprit Artamene : et puis que par le respect que je porte au Roy d'Assirie, desarmé et malheureux, je me prive du plaisir de me vanger de luy ; il faut du moins que je me reserve celuy de punir Mazare, et de sa perfidie, etde sa temerité. Apres cela, ces deux Rivaux sans se souvenir presque plus de leur haine, se mirent à regarder l un et l'autre cette Galere : et faisant tantost des voeux, et tantost des imprecations, comme s'ils n'eussent eu qu'un mesme interest ; il y avoit des momens, où l'on eust dit qu'ils estoient Amis, tant cét objet dominant attachoit leurs yeux, leurs esprits, et leurs pensées. Mais enfin ils virent que tout d'un coup, la Mer changea de couleur ; que ses vagues s'esleverent ; et que grossissant encore en un moment, elles portoient tantost la Galere dans les Cieux ; et tantost elles l'enfonçoient dans les abismes, Cette triste veuë faisant alors un mesme effet, dans ces coeurs également passionnez ; Artamene regarda le Roy d'Assirie, avec une douleur inconcevable : et le Roy d'Assirie regarda Artamene, avec un desespoir que l'on ne sçauroit exprimer. Ce fut alors que l'égalité de leur malheur, suspendit tous leurs autres sentimens ; et qu'ils esprouverent tout ce que l'amour peut faire esprouver de douloureux et de sensible. Ils voyoient que si le vent continuoit de souffler du costé qu'il estoit, cette Galere se viendroit infailliblement briser contre le pied de la Tour où ils estoient ; si bien que faisant des voeux tous contraires à ceux qu'ils avoient faits un peu auparavant ; ils desiroient que le vent secondast les voeux du ravisseur, et qu'il l'esloignast de la terre. Cependant la tempeste se redoubla : et selon le caprice, et l'inconstance de la Mer, le vent ayant par des tourbillons qui s'entre-choquoient, esté quelque temps en balance ; comme s'il n'eust pû determiner de quel costé il devoit se ranger ; tout d'un coup il esloigna la Galere de la Ville : et luy fit raser la Côste avec tant de vistesse, que ces deux Rivaux la perdirent de veuë en un instant : et perdirent avec elle, tout ce qui leur restoit d'esperance, voyant tousjours durer l'orage aussi fort qu'auparavant. Que ne dirent point apres cela, ces deux illustres malheureux ; dans la crainte qu'ils avoient, voyant continuer la tempeste, que leur Princesse ne fist naufrage ? Ils eussent bien voulu pouvoir separer Mazare de Mandane ; et ne luy donner point de part aux voeux qu'ils faisoient pour elle : mais apres tout, ils consentoient au salut du Rival, plus tost que de se consentir à la perte de la Maistresse. Ils se la souhaiterent mesme plus d'une fois l'un a l'autre, plustost que de la sçavoir exposée au danger où elle estoit : et plus d'une fois aussi, ils se repentirent de leurs propres souhaits. Cependant cét objet qui avoit comme suspendu toutes leurs passions, et toutes leurs pensées, n'estant plus devant leurs yeux ; ils recommencerent de se regarder comme auparavant : c'est à dire comme deux Rivaux, et comme deux Ennemis. Artamene estoit pres de s'en aller, et de commander que l'on gardast le Roy d'Assirie ; lors que ce Prince luy dit, je sçay bien que ta naissance est égale à la mienne : et je le sçay par des voyes si differentes, et si asseurées, que je n'en sçaurois douter : c'est pourquoy me confiant en cette generosité, de laquelle j'ay esté si souvent le secret admirateur malgré ma haine ; et que j'ay si souvent esprouvée ; je veux croire encore, que tu ne me refuseras pas une grace que je te veux demander. Comme à mon Rival, luy respondit Artamene, je te dois refuser toute chose : mais comme au Roy d'Assirie, je te dois accorder tout ce qui n'offensera point le Roy que je sers, ou la Princesse sa fille : c'est pourquoy fois asseuré que je ne te refuseray rien de tout ce qui ne choquera point ny mon honneur, ny mon amour : et je t'en engage la parole d'un homme, qui comme tu dis, n'est pas de naissance inégale à la tienne, quoy qu'il ne passe pas pour cela, dans l'opinion de toute la Terre. Demande donc ce que tu voudras : mais consulte auparavant ta propre vertu, pour ne forcer pas la mienne à te refuser malgré elle. Le Roy d'Assirie voyant qu'il avoit cessé de parler ; je sçay bien, luy dit il, que tu peux me remettre entre les mains de Ciaxare : et qu'apres luy avoir conquis la meilleure partie de mon Royaume, il te seroit en quelque façon avantageux, de luy en remettre le Roy dans ses fers. Mais tu és trop brave, pour vouloir que la Fortune t'ayde à triompher d'un homme fait comme moy ; et pour te prevaloir de la captivité d'un Rival, que tu ne sçaurois croire qu'homme de coeur, puis qu'il à desja mesuré ton espée avec la tienne. Dans les termes où est ma passion pour la Princesse, je ne te celle pas qu'il faut de necessité que je meure avant que tu la possedes : ne me prive donc pas inutilement de la gloire d'avoir contribué quelque chose, à la punition de nostre Ennemy commun, et à la liberté de la Princesse : te promettant apres cela, quand mesme le destin me seroit favorable, et me feroit retrouver l'illustre Mandane ; de ne songer jamais à la persuader à ton prejudice ; que par un combat particulier, le fort des armes n'ait decidé de nostre Fortune. je voy bien, Artamene, adjousta t'il, que ce que je veux est difficile : mais si ton ame n'estoit capable que des choses aisées, tu serois indigne d'estre mon Rival. Il est vray, reprit Artamene, qu'il ne m'est pas aisé de faire ce que tu desires : et qu'il me fera bien plus facile, de terminer nos differens, te faisant redonner une espée ; que de t'accorder cette liberté que tu me demandes ; et qui n'est pas peut-estre tant en mon pouvoir que tu le crois. Comme mon amour n'est pas moins sorte que la tienne, reprit le Roy d'Assirie, peut-estre que le desir de combattre n'est pas moins violent dans mon coeur, que dans celuy d'Artamene : Mais comme je ne veux combattre Artamene que pour la possession de la Princesse ; et qu'elle n'est pas en estat de pouvoir estre le prix du Vainqueur ; il faut Artamene, il faut aller apres le Ravisseur de Mandane, et travailler conjointement à sa liberté, y ayant égal interest. Ne consideres tu point que si nous perissions tous deux dans ce combat, Mandane, l'illustre Mandane, demeureroit sans protection et sans deffence, entre les mains de nostre Rival ? A ces mots, Artamene s'arresta un moment : puis reprenant la parole ; il ne seroit sans doute pas juste, dit il, d'exposer nostre Princesse, à un semblable malheur : mais il n'est pas équitable non plus, que commandant les armes du Roy des Medes, je dispose souverainement de la liberté d'un prisonnier, comme est le Roy d'Assirie. Tout ce que je puis avec honneur ; c'est de luy promettre, d'employer tous mes soins, et tout mon credit, pour la luy faire rendre, s'il m'est possible, et de n'oublier rien pour cela. Mais pour luy tesmoigner, adjousta t'il, que je ne veux pas m'espargner la peine qui se rencontre à combattre un si redoutable Ennemy ; ny m'en exempter laschement, en le retenant prisonnier ; je veux bien luy engager ma parole, de ne pretendre jamais rien à la possession de la Princesse, quand mesme elle seroit en ma puissance ; quand mesme le Roy des Medes y consentiroit ; et quand mesme elle le voudroit, qu'auparavant par un combat particulier ; le sort des armes ne m'ait rendu son Vainqueur. Je ne sçaurois nier, luy dit le Roy d'Assirie, que vous n'ayez raison d'en user comme vous faites ; et que je n'aye eu tort de vous faire cette demande : mais advoüant que vous estes plus sage que moy, confessez aussi que je suis plus amoureux que vous, puis que je le suis jusques à perdre la raison, que vous conservez toute entiere. je vous disputeray, luy repliqua Artamene, cette derniere qualité, bien plus opiniastrément que l'autre : Le Roy d'Assirie le supplia alors sans luy repliquer, de se souvenir, que peut-estre ne seroit il pas inutile pour la liberté de la Princesse : et qu'ainsi par cette seule raison, il le conjuroit de travailler pour la sienne. A ces mots Artamene se retira, apres avoir mis le Roy d'Assirie sous la garde d'Araspe : luy ordonnant de le traiter avec tout le respect, et toute la civilité possible : et de le mener à son Apartement accoustumé. Le Roy d'Assirie l'entendant, respondit que ce devoit estre le sien : mais Artamene ne le voulut pas : et s'en separant à l'instant mesme, il s'en alla dans toutes les Ruës, pour tenir le Peuple en son devoir ; et pour faire achever d'esteindre le feu.A la recherche de la galère du ravisseur de MandaneIl envoya tout le long des Cistes, pour voir si l'on n'apprendroit rien de la Galere, qui avoit enlevé sa Princesse : et il depescha un des siens vers Ciaxare, pour l'advertir de ce qui s'estoit passé. Enfin il employa tout le reste du jour à donner ses ordres : et le soir estant venu, il se retira dans le mesme Apartement que sa Princesse avoit occupé, à ce qu'il sçeut par Thrasibule ; auquel Artamene fit toute la civilité, que l'extréme inquietude où il estoit, luy pût permettre de luy faire. Il sçeut qu'estant arrivé seulement depuis un jour dans ce Port, pour y faire radouber ses Vaisseaux, qui avoient esté battus de la tempeste ; le Roy d'Assirie l'y avoit fort bien reçeu : et l'avoit obligé de loger dans le Chasteau, où il avoit veû la Princesse de Medie : mais que la nuit derniere, l'on avoit entendu tout d'un coup, le bruit que faisoient les Vaisseaux embrazez, qui en suite avoient mis le feu aux maisons voisines. Qu'à ce bruit, le Roy d'Assirie ayant voulu prendre son espée, ne l'avoit plus trouvée à sa place, et qu'ayant voulu aller à l'Apartement de la Princesse, il l'avoit trouvé fermé : et n'avoit trouvé aucun des Soldats qui avoient accoustumé de garder le Chasteau. Qu'aussi tost il avoit appellé quelques uns des siens, qui avoient ouvert par force cét Apartement, et qui n'y avoient trouvé personne. Que cependant ayant voulu faire sortir tous les domestiques, et voulu sortir luy mesme, il luy avoit esté impossible ; à cause de l'embrazement. Et que depuis cela, il avoit toujours esté sur le haut de cette Tour, à considerer son infortune : resolu à tous les momens, de se jetter dans la Mer ou dans les flames. Thrasibule n'en pouvoit pas dire d'avantage : car il n'y avoit encore qu'un jour qu'il estoit arrivé à Sinope : il laissa donc Artamene dans cét Apartement ; apres que ce Prince l'eut asseuré en s'en separant, qu'il auroit soing de le faire recompenser par le Roy, de la perte de ses Vaisseaux, que le feu avoit devorez : le loüant infiniment de sa moderation ; luy qui dans un accident tant inopiné, ne s'amusoit point à des regrets inutiles ; et souffroit en homme de coeur, une perte si considerable. Artamene passa la nuit avec des inquietudes que l'on ne sçauroit concevoir : voicy, disoit il en luy mesme, le lieu de la persecution de ma Princesse ; et voicy peut-estré l'endroit où elle s'est souvenuë de moy avec douleur ; et où peut-estre elle à regretté le malheureux Artamene. Du moins sçay-je bien qu'elle en a parlé : Car, par quelle autre voye le Roy d'Assirie auroit il pû sçavoir, qu'Artamene n'est pas veritablement Artamene ? moy qui dans le temps que je l'ay veû à la Cour de Capadoce, ne le croyois estre que Philidaspe ; c'est à dire un simple Chevalier, tel qu'il se disoit ; quoy que je fusse pour le moins aussi amoureux que luy ; et par consequent aussi difficile à tromper ? Mais helas ! adorable Princesse, pourquoy faut il que je fois dans vostre prison ; que vostre persecuteur soit icy, et que vous n'y soyez pas ? Je tiens un Rival que je ne puis punir ; je pers une Maistresse que je ne puis sauver, et sa beauté qui fait tout mon bon-heur et toute sa gloire, fait aussi toute mon infortune et tout son mal-heur. Elle luy donne des Adorateurs ; mais des Adorateurs sans respect : et en quelque lieu qu'elle aille, elle me donne des Rivaux et des Ennemis. Ha ! beaux yeux, s'ecrioit il, comme est-il possible que vous inspiriez des sentimens si injustes ; et si déreglez ; Vous, dis-je, qui n'avez jamais porté dans mon coeur, que de la crainte, et de la veneration ? Moy qui n'ay presque jamais osé vous dire que je vous aymois : moy qui ne vous ay regardé qu'en tremblant ; moy qui vous ay si long temps adorez en secret ; et moy, dis-je enfin, qui serois plustost mort mille fois, que de vous faire voir dans mes actions, la moindre chose qui vous peust desplaire. Cependant vous avez embrazé des coeurs indignes de vous : et des coeurs qui sans considerer ce qu'ils vous doivent, n'ont consideré que ce qui leur plaist. Cependant je ne sçaurois me repentir de ma respectueuse passion : et je ne sçay si tout malheureux que je suis ; si tout esloigné que je me trouve de ma Princesse, je n'aime pas encore mieux estre Artamene, que d'estre Mazare. Ce n'est pas poursuivit il, qu'il ne soit heureux dans son crime : car enfin il la voit ; il luy parle ; et il luy parle de sa passion. Mais sans doute aussi qu'elle luy respond avec mépris ; et que les mesmes yeux qui sont son plaisir et sa gloire, sont aussi sa peine et son chastiment, par les marques de leur colere. En un mot, je pense que j'ayme mieux estre innocent dans le coeur de ma Princesse, qu'estre seulement à ses pieds comme un Criminel. Mais Ciel ! adjoustoit il tout d'un coup ; qui m'a dit que cette tempeste qui s'est eslevée, et qui dure encore, ne l'aura pas fait perir ; et de quelles flateuses pensées laissez-je entretenir mon espoir, dans l'incertitude où j'en suis ? Comme il en estoit là, il entendit un bruit assez grand : et Chrisante estant entré dans sa chambre, Seigneur, luy dit-il, l'on delivre le Roy d'Assirie ; ou pour mieux dire, on l'a desja delivré. Araspe ayant entendu quelque bruit dans la chambre du Roy prisonnier, où par respect il n'avoit pas voulu coucher ; l'a ouverte, et ne l'y a plus trouvé. A l'instant mesme nous sommes sortis ; nous avons cherché ; et nous avons veû que sous une fenestre qui respond vers une maison bruslée ; un amas de ruines et de cendres, a comblé le fossé du Chateau en cét endroit, et a eslevé un grand monceau de ces matieres fumantes, à la faveur duquel nous jugeons que ce Prince s'est sauvé. Artamene surpris d'une nouvelle si fascheuse, envoya promptement ses ordres à toutes les Portes de Sinope ; et fut luy mesme en personne, pour tascher de retrouver son prisonnier. Mais durant qu'il estoit à un des bouts de la Ville, il sçeut qu'une troupe de gens armez paroissoit à l'autre ; et qu'ils taschoient de se rendre Maistres de la Porte. Il y courut aussi tost ; mais il y arriva trop tard : car le Roy d'Assirie estoit desja sorti, et avoit forcé le Corps de Garde. Il y avoit pourtant encore quelques uns des siens, commandez par Aribée, que l'on avoit creû mort, et qui s'estoit retiré de dessous ces ruines qui l'avoient enseveli ; qui pour donner temps au Roy d'Assirie de se sauver, rendoient encore avec luy quelque combat, malgré les blessures que ce perfide avoit desja reçeuës. Mais Artamene ne l'eut pas plustost reconnu, qu'il luy dit ; Traistre, tu és donc ressuscité, pour trahir encore une fois ton Maistre ! Mais si tu veux échaper de mes mains, il faut que les tiennes m'ostent la vie. En disant cela, il fut à luy, avec une impetuosité si grande ; qu'Aribée, quoy que courageux, fut contraint de lascher le pied. Ce ne fut neantmoins reculer sa perte que d'un moment : car Artamene le pressa de telle sorte ; qu'il ne songea plus qu'à parer les coups qu'il luy portoit : cedant visiblement à la valeur d'un homme, qui ne combatoit gueres sans vaincre. Il luy donna donc enfin un si grand coup d'espée à travers le corps, au deffaut de sa cuirasse, qu'il l'abatit à ses pieds. Là, il advoüa avant qu'expirer, que s'estant retiré de dessous ces ruines, il avoit rassemblé tout ce qu'il avoit pû des siens, qu'il avoit fait cacher parmi ces maisons bruslées : et qu'ayant sçeu en quel Apartement estoit le Roy d'Assirie, il avoit esté au commencement de la nuit, monter sur cét amas de cendres et de bois à demi consumé ; faire quelque bruit à la fenestre de ce Prince, pour l'obliger à y regarder ; et que la chose luy ayant succedé, il l'avoit fait sauver par cette fenestre. A ces mots, cét infidelle perdit la parole et la vie : et tous ses compagnons le voyant en cét estat, prirent aussi tost la suite. Mais Artamene fut contraint de ne poursuivre pas davantage un Prince, que l'obscurité de la nuit, déroboit facilement à ses soins. Comme il s'en fut retourné au Chasteau, il dépescha vers Ciaxare, pour l'advertir de cét accident : et s'occupa tout le reste de la nuit, à considerer le caprice de sa fortune et de son malheur. Repassant donc tout ce qui luy estoit arrivé, il s'estonnoit quelquesfois, qu'une vie aussi peu avancée que la sienne, eust desja esté subjette à tant d'evenemens extraordinaires : et se promenant seul dans sa chambre (car il n'avoit pû se resoudre de se remettre au lit) il apperçeut sur la table des Tablettes de feüilles de Palmier, assez magnifiques : Mais helas ! quelle surprise fut la sienne, lors qu'en les ouvrant, il vit qu'il y avoit quelque chose qui estoit escrit de la main de sa Princesse. Il les regarde de plus prés ; il parcourt en un moment toutes ces precieuses lignes ; et apres s'estre fortement confirmé en l'opinion que c'estoit elle qui les avoit tracées : il lût distinctement ces paroles.A PRINCESSE MANDANE, AU ROY D'ASSIRIE.Souvenez vous, Seigneur, que vous m'avez dit plus de cent fois, que rien ne pouvoit resister à Mandane ; afin que vous en souvenant, vous n'accusiez pas le genereux Mazare d'une infidelité, que mes larmes, mes prieres, et mes plaintes, luy ont persuadé de commettre : sans qu'il ait autre interest en ma liberté, que celuy que la vertu inspire aux Ames bien nées, en faveur des Personnes malheureuses. Resoluez vous donc à luy pardonner un crime, qui à parler raisonnablement, vous est en quelque façon avantageux ; puis qu'il vous oste les moyens d'attirer mon aversion, par les tesmoignages que vous me donnez de vostre amour. Sçachez donc que je protegeray dans la Cour du Roy mon Pere, celuy qui m'a protegée dans la vostre : et que c'est par le pardon de Mazare que vous pouvez obtenir le vostre de la Princesse de Medie : et trouver quelque place en son estime, n'en pouvant jamais avoir en son affection.MANDANE.Artamene achevant de lire ce Billet, se repentit de tout ce qu'il avoit dit et pensé contre Mazare ; et admirant sa generosité, il faisoit autant de voeux pour son falut, qu'il en avoit fait pour sa perte. Que les apparences sont trompeuses, disoit il, et qu'il y a de temerité à juger des sentimens d'autruy, à moins que d'en estre pleinement informé ! Qui n'eust pas dit que Mazare estoit le plus criminel des hommes ; et que l'infidelité qu'il avoit euë pour le Roy d'Assirie, ne pouvoit avoir d'autre cause qu'une injuste amour ? Cependant il se trouve que la pitié et la compassion, sont les veritables motifs qui l'ont fait agir : et il n'a pas tenu à luy que je ne fois parfaitement heureux. Mais, adjoustoit il, si la tempeste a espargné sa Galere, comme je le veux esperer ; mon bon heur ne me fera pas long temps differé : et je n'auray bien tost plus d'autre desplaisir, que celuy de n'avoir rien contribué à la liberté de ma Princesse ; et d'estre arrivé trop tard pour la delivrer. Mais qu'importe, poursuivoit il, par quelles mains le bon heur nous arrive, pourveû que nous le recevions ? Joüissons donc de cette esperance : et disposons nous à estre l'Ami de Mazare ; et à le proteger contre le Roy d'Assirie. Apres un semblable raisonnement, il se mit à relire ce que la Princesse de Medie avoit escrit : et apres l'avoir releû diverses fois, il se mit à regarder, s'il n'y avoit plus rien dans ces Tablettes. Mais helas ! il y trouva ce qu'il ne croyoit pas y rencontrer. C'estoit un Billet de Mazare au Roy d'Assirie, qui estoit conçeu en ces termes.MAZARE PRINCE DES SACES, AU ROY D'ASSIRIE.Bien loing de vous cacher mon crime, je veux vous le descouvrir aussi grand qu'il est. Je ne vous fais pas seulement une infidelité ; je trompe encore la Personne du monde pour laquelle j'ay le plus de veneration ; qui est sans doute la Princesse Mandane. Elle croit que je songe à la soulager dans ses malheurs ; lors que je ne pense qu'à diminuer les miens. Enfin je suis coupable envers elle comme envers vous ; et je le suis encore envers moy mesme ; puis que selon toutes les apparences, je fais un crime inutilement. Mais qu'y ferois-je ? l'Amour m'y force et m'y contraint ; et je ne me suis pas rendu sans combatre. Si vous estes veritablement genereux, vous me plaindrez ; si non, vous chercherez les voyes de vous vanger, sans que je m'en plaigne. Je vous declare toutefois, que je seray assez bien puni par Mandane, puis qu'Artamene est assez bien dans son coeur pour en deffendre l'entrée ; et à vous et à moy ; et à tous les Princes de la Terre : et pour me punir de tout ce que je fais malgré que j'en aye, et contre vous, et contre l'exacte generosité.MAZARE.Que vois-je, dit alors Artamene, et que ne dois-je point craindre de voir ? je pense avoir trouvé un Ami, et un moment apres je retrouve un Rival ! et un Rival encore, qui peut-estre a employé mon Nom, pour abuser ma Princesse, et pour l'enlever. Mais, genereuse Princesse, puis-je esperer pour me consoler, que je fois aussi bien dans ton coeur, que Mazare tesmoigne le croire ? Ha ! s'il est ainsi Fortune, que je suis heureux, et malheureux tout ensemble ! heureux de posseder un honneur que tous les Rois de la Terre ne sçauroient jamais meriter ; et malheureux d'avoir quelque droit à un thresor, dont la possession m'est deffenduë. Le Destin capricieux, qui regle mes avantures, ne me montre jamais aucun bien, que pour m'en rendre la privation plus sensible : je ne connois la douceur, que pour mieux gouster l'amertume : et je n'aprens que je suis aimé, que lors que par l'excés de mes infortunes, je suis contraint de haïr la vie, et de souhaiter la mort. Comme il en estoit là, on luy vint dire que l'on n'avoit rien appris de cette Galere où estoit la Princesse, le long du rivage de la Mer : ce qui le consola en quelque façon ; dans la peur où il estoit, qu'elle n'eust fait un triste naufrage : et ce qui l'obligea à souffrir la veuë de tous les Chefs qui l'avoient suivi. Hidaspe, Chrisante, Aglatidas, Araspe, Feraulas, et Thrasibule, cét illustre Grec, entrerent tous dans sa Chambre : où Artamene ayant entretenu ce dernier en particulier, luy dit qu'il estoit bien fasché, de ne pouvoir aussi promptement qu'il l'eust desiré, luy rendre d'autres Vaisseaux : Mais que s'il estoit vray qu'il ne courust la Mer, que pour se mettre en seureté de ses Ennemis, ainsi qu'on le luy avoit dit, il l'assuroit de luy faire trouver un Azile inviolable à la Cour du Roy des Medes : et de l'obliger mesme à le remettre dans son Estat, aussi tost qu'il auroit retrouvé la Princesse sa Fille. Thrasibule le remercia fort civilement de cette offre obligeante, et l'accepta : ne pouvant faire autre chose, en un temps où il n'avoit point à choisir : joint que la valeur, et les rares qualitez d'Artamene, luy avoient donné tant d'amour, dés la premiere fois qu'il l'avoit connu, qu'il estoit presque consolé de sa disgrace, par une si heureuse rencontre. Artamene donc luy faisant beaucoup d'honneur, sortit avec luy, et avec tous ces autres Chefs, et fut par les Ruës de cette Ville : où le feu estoit veritablement esteint, mais où la desolation n'estoit pas passée. Cette noirceur espouvantable qui paroissoit par tout ; ces poûtres à demi bruslées ; et tous ces bastimens ruinez ; inspiroient quelque chose de si lugubre dans l'imagination ; qu'il eust esté difficile de pouvoir rien penser que de triste, en un lieu qui paroissoit si funeste. L'on y voyoit diverses personnes, qui parmi les cendres de leurs maisons, cherchoient leurs thresors fondus : et l'on en voyoit d'autres, qui poussez par un sentiment plus tendre, cherchoient sous ces ruines à demy consumées, les os de leurs Parens ou de leurs Amis. Artamene touché par des objets si tristes, consola tous ceux qui se trouverent sur son passage : et promit aux habitans en general, malgré leur rebellion, d'obliger le Roy à faire rebastir leur Ville. Feraulas presenta alors un homme à Artamene, qui luy donna une Lettre de la part du Roy d'Assirie : il la prit, et l'ayant leuë tout bas, il trouva ces paroles ; lors qu'il eut rompu les cachets des Tablettes de cire où elles estoient gravées.LE ROY D'ASSIRIE A ARTAMENE.Je louë cette scrupuleuse vertu, qui vous a forcé de n'escouter pas vostre generosité ; elle qui auroit sans doute esté bien aise, d'accorder la liberté à un Ennemy qui vous la demandoit : si elle eust pû consentir que vous eussiez un peu manqué à ce que vous deviez au Roy des Medes. Mais comme je suis equitable envers vous, ne soyez pas injuste envers moy, et ne blasmez pas un Prince, qui ne se seroit pas sauvé, si vous l'aviez laissé sur sa foy : et qui n'a pas creû faire un crime de s'échaper de ses Gardes pour tascher de delivrer nostre Princesse. Pour vous tesmoigner qu'en rompant ma prison, je n'ay pas rompu les conditions de nostre Traité ; je vous promets tout de nouveau, de vous advertir de toutes choses : de ne faire plus la guerre contre le Roy des Medes : de luy envoyer des Troupes : et ce qui est le plus difficile à executer, je vous promets encore une fois, de ne parler jamais de ma passion à la Princesse, quand mesme ce seroit moy qui la delivrerois ; que vostre deffaite ne m'en ait donné la liberté. Faites ce que je feray : et gardez la fidelité à un Ennemi, si vous voulez qu'il vous la garde.LE ROY D'ASSIRIE.Artamene leût cette Lettre avec joye, et avec chagrin tout ensemble : il estoit bien aise de la promesse que le Roy d'Assirie luy faisoit : car enfin la Princesse pouvoit aussi tost tomber entre les mains de Labinet, qu'entre les siennes. Mais d'autre part, il estoit fasché d'avoir reçeu devant tant de monde, une Lettre du Roy d'Assirie ; qu'il n'oseroit montrer à Ciaxare, pour beaucoup de choses qu'elle disoit. Il n'en fit pourtant pas semblant : et comme il fut rentré dans sa Chambre, choisissant d'entre des Tablettes de bois de Cedre, de plomb, et d'escorce de Philire, les plus magnifiquement enrichies ; (car toute l'Antiquité ne connut jamais papier ni encre) et prenant un de ces Burins que les Anciens appelloient un Style ; il en escrivit ces mesmes paroles.ARTAMENE AU ROY D'ASSIRIE.Je ne manque jamais à ce que j'ay promis, non plus qu'à ce que je dois : ainsi vous devez estre assuré, de me voir observer inviolablement, toutes les choses dont nous sommes convenus. Je souhaite seulement, que nous soyons bien tost en estat, de disputer un prix dont je suis indigne : mais que personne ne possedera pourtant jamais, que par la mort.D'ARTAMENE.Ces Tablettes estant cachetées, il les donna à cét homme qui luy avoit apporté les autres ; qui s'estant approché de son oreille, luy dit qu'il avoit ordre du Roy d'Assirie, de luy apprendre, en cas qu'il eust quelque chose à luy mander, qu'il s'estoit retiré à Pterie : Ville dont Aribée avoit esté Gouverneur aussi bien que de Sinope, et qu'il avoit remise en ses mains. Apres cela cét homme sortit ; et Artamene sortant aussi, continua de faire le tour de la Ville ; pour s'en aller à un Temple, à une stade de Sinope ; qui luy estoit considerable, pour plus d'une raison ; puis que c'estoit le lieu, où il avoit commencé d'aymer. De là, sans sçavoir precisément ce qu'il cherchoit, ny ce qu'il faisoit ; il se mit à suivre le bord de la Mer, du costé que la Galere, qui avoit enlevé sa Princesse avoit pris sa route : pendant cette promenade melancholique, il s'entretenoit avec les deux fidelles Compagnons de ses avantures, le sage Chrisante, et le hardy Feraulas. Fut il jamais un temps, leur dit il, ny mieux ny plus mal employé que celuy que nous avons passé, depuis que nous sommes arrivez à Sinope ? Car enfin, par le nombre des choses qui m'y sont advenuës en si peu de momens, s'il faut ainsi dire, il est impossible de passer jamais aucun jour avec plus d'occupation mais aussi pour le peu d'utilité que je retire de cét employ, je ne pense pas que jamais personne ait si mal occupé sa vie. Je m'imagine venir delivrer ma Princesse, et je la trouve selon les apparences, dans un danger espouvantable : si j'en crois la crainte qui faisoit mon coeur, je la voy dans les feux et dans les flames ; et je la voy mesme reduite en cendre, aussi bien que la Ville où elle estoit. Apres je la voy ressuscitée ; je travaille à la sauver ; je combats ; j'esteins les flames qui apparamment la veulent devorer : et puis à la fin il se trouve que je ne delivre que mon Rival, et que je le delivre en un estat, qui ne me permet pas mesme de m'en vanger avec honneur. Enfin je voy un autre Ravisseur de ma Princesse, que je ne puis suivre : et peu apres je me voy sans Rival prisonnier, comme sans Maistresse delivrée. Dans le moment qui suit, je change encore d'estat : je fais des voeux pour Mazare, dont j'avois desiré la perte : et au mesme instant je le haïs plus que je ne faisois. O Destins ! rigoureux Destins ! determinez vous sur ma Fortune : rendez moy absolument heureux, ou absolument miserable : et ne me tenez pas tousjours entre la crainte et l'esperance ; entre la vie et la mort. Seigneur, luy dit alors Chrisante, apres tant de maux que vous avez soufferts, ou évitez ; vous devez esperer de surmonter toutes choses : et apres une si longue obstination de la Fortune à vous persecuter, adjousta Feraulas, il est à croire qu'elle se lassera bien tost. Cependant le Ciel s'estoit esclairci : et depuis qu'Artamene estoit hors de la Ville, le vent s'estoit appaisé ; et la Mer paroissoit aussi tranquile, qu'elle avoit esté agitée. Ses ondes ne faisoient plus que s'espancher lentement sur le rivage : et par un mouvement reglé elles sembloient se remettre avec respect, dans les bornes que la puissance Souveraine qui les gouverne, leur a prescrites. Artamene se resjoüissant de cette profonde tranquilité, presques avec autant de transport qu'il en eust pû avoir, s'il eust esté le Ravisseur de sa Princesse ; vit encore assez loing devant luy au bord de la Mer, plusieurs personnes ensemble : qui par leurs actions tesmoignoient avoir de l'estonnement, et estre fort occupées. Il s'avança alors, poussé d'une curiosité extraordinaire : et changeant de couleur en un instant ; que peuvent faire ces gens ? dit il à Chrisante et à Feraulas ; Seigneur, luy dirent ils, peut-estre sont-ce des Pescheurs, qui sechent, ou qui démeslent leurs filets sur le fable. Cependant Artamene s'avançant tousjours vers eux, Feraulas commença de remarquer le long de la rive, quelque débris d'un naufrage : il fit pourtant signe à Chrisante de n'en parler point à leur Maistre ; qui regardoit avec tant d'attention, ces hommes qui estoient au bord de la Mer ; qu'il ne s'aperçeut pas encore de ce que Chrisante et Feraulas avoient veû. Mais helas ! à peine eut il fait vingt pas, que tournant les yeux vers le rivage qu' Modifié 22 février 2013 par Jasper Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Wundos 354 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Corrigez les fautes : Incendie de SinopeL'embrazement de la Ville de Sinope estoit si grand, que tout le Ciel ; toute la Mer ; toute la Plaine ; et le haut de toutes les Montagnes les plus reculées, en recevoient une impression de lumiere, qui malgré l'obscurité de la nuit, permettoit de distinguer toutes choses. Jamais objet ne fut si terrible que celuylà : l'on voyoit tout à la fois vingt Galeres qui brusloient dans le Port ; et qui au milieu de l'eau dont elles estoient si proches, ne laissoient pas de pousser des flames ondoyantes jusques aux nuës. Ces flames estant agitées par un vent assez impetueux, se courboient quelquefois vers la plus grande partie de la Ville, qu'elles avoient desja toute embrazée ; et de laquelle elles n'avoient presque plus fait qu'un grand bûcher. L'on les voyoit passer d'un lieu à l'autre en un moment ; et par une funeste communication, il n'y avoit quasi pas un endroit en toute cette déplorable Ville, qui n'esprouvast leur fureur. Tous les cordages, et toutes les voilles, des Vaisseaux et des Galeres, se destachans toutes embrazées, s'eslevoient affreusement en l'air, et retomboient en estincelles, sur toutes les maisons voisines. Quelques unes de ces maisons estant desja consumées, cedoient à la violence de cét impitoyable vainqueur ; et tomboient en un instant, dans les Ruës et dans les Places, dont elles avoient esté l'ornement. Cette effroyable multitude de flames, qui s'élevoient de tant de divers endroits ; et qui avoient plus ou moins de force, selon la matiere qui les entretenoit, sembloient faire un combat entr'elles, à cause du vent qui les agitoit ; et qui quelques-fois les confondant et les separant, sembloit faire voir en effet, qu'elles se disputoient la gloire de destruire cette belle Ville. Parmy ces flames esclattantes, l'on voyoit encore des tourbillons de fumée, qui par leur sombre couleur adjoustoient quelque chose de plus terrible, à un si espouvantable objet : et l'abondance des estincelles, dont nous avons desja parlé, retombant à l'entour de cette Ville, comme une gresle enflamée, faisoit sans doute que l'abord en estoit affreux. Au milieu de ce grand desordre, et tout au plus bas de la Ville, il y avoit un Chasteau, basty sur la cime d'un grand Rocher qui s'avançoit dans la Mer, que ces flames n'avoient encore pû devorer : et vers lequel toutefois, elles sembloient s'eslancer à chaque moment, parce que le vent les y poussoit avec violence. Il paroissoit que l'embrazement devoit avoir commencé par le Port ; puis que toutes les maisons qui le bordoient, estoient les plus allumées, et les plus proches de leur entiere ruine, si toutefois il estoit permis de mettre quelque difference, en un lieu où l'on voyoit esclater par tout, le feu et la flame. Parmy ces feux et parmy ces flames, l'on voyoit pourtant encore quelques Temples et quelques maisons, qui faisoient un peu plus de resistance que les autres ; et qui laissoient encore assez voir de la beauté de leur structure, pour donner de la compassion, de leur inevitable ruine. Enfin ce terrible Element détruisoit toutes choses ; ou faisoit voir ce qu'il n'avoit pas encore détruit, si proche de l'estre ; qu'il estoit difficile de n'estre pas saisi d'horreur et de pitié, par une veuë si extraordinaire et si funeste. Ce fut par cét espouvantable objet, que l'amoureux Artamene (apres estre sorty d'un valon, tournoyant et couvert de bois, à la teste de quatre mille hommes) fut estrangement surpris. Aussi en parut-il si estonné, qu'il s'arresta tout d'un coup : et sans sçavoir si ce qu'il voyoit estoit veritable ;et sans pouvoir mesme exprimer son estonnement, par ses paroles ; il regarda cette Ville ; il regarda le Port ; il jetta les yeux sur cette Mer, qui paroissoit toute embrazée, par la reflexion qu'elle recevoit des Nuës, que ce feu avoit toutes illuminées ; il regarda la Plaine et les Montagnes ; il tourna ses yeux vers le Ciel ; et sans pouvoir ny parler, ny marcher, il sembloit demander à toutes ces choses, si ce qu'il voyoit estoit effectif, ou si ce n'estoit point une illusion. Hidaspe, Chrisante, Aglatidas, Araspe, et Feraulas, qui estoient les plus proches de luy, regardoient cét embrazement, et n'osoient regarder Artamene ; qui poussant enfin son cheval sur une petite eminence, où ils le suivirent ; vit et connut si distinctement, que cette Ville qui brusloit, estoit celle-là mesme qu'il pensoit venir surprendre cette nuit, par une intelligence qu'il y avoit, afin d'en tirer sa Princesse, que le Roy d'Assirie y tenoit captive ; que tout d'un coup s'emportant avec une violence extréme ; Quoy injustes Dieux, s'écria t'il, il est donc bien vray que vous avez consenti à la perte de la plus belle Princesse qui fut jamais ? et que dans le mesmne temps que je croyois sa liberté infaillible, vous me faites voir sa perte indubitable ? En disant cela il s'avança encore un peu davantage : et n'estant suivi que de Chrisante et de Feraulas, Helas mes Amis (leur dit il en commençant de galoper, et commandant que tout le suivist) quel pitoyable destin est le mien, et à quel effroyable spectacle m'a t'on amené ? Allons du moins, allons mourir dans les mesmes flames, qui ont fait perir nostre illustre Princesse. Peut-estre (poursuivoit il en luy mesme) que ces flames que je voy, viennent d'achever de reduire en cendre, mon adorable Mandane. Mais que dis-je, peut-estre ? Non, non, ne mettons point nostre malheur en doute, il est desja arrivé ; et les Dieux n'ont pas permis un si grand embrazement pour la sauver. S'ils eussent voulu ne la perdre pas, ils auroient souslevé les vagues de la Mer, pour esteindre ces cruelles flames, et ne l'auroient pas mise en un si grand danger. Mais helas ! s'écrioit il, injuste Rival, n'as tu point songé à ta conservation plustost qu'à la sienne, et n'as tu point causé sa perte par ta lascheté ? Si je voyois ma Princesse (adjoustoit il en se tournant vers Chrisante) entre les mains d'un Prince, à la teste de cent mille hommes, et que ce Prince la voulust sacrifier à mes yeux, je ne serois pas si desesperé, j'aurois un ennemy que je pourrois du moins attaquer, si je ne le pouvois vaincre : Mais icy, je n'ay rien à faire, qu'à m'aller jetter dans ces mesmes flames, qui ont desja confumé ma Princesse. En disant cela, il s'avançoit encore davantage : et apres avoir esté quelque temps sans parler ; Ha Ciel ! (s'ecrioit il tout d'un coup, voyant qu'il n'y avoit que Chrisante qui le peust entendre) ne seroit-je point la cause de la mort de ma Princesse ? n'est-ce point pour l'amour de moy qu'elle a elle mesme embrazé cette Ville, plustost que de manquer de fidelité, au malheureux Artamene ? Ha Dieu ! s'il est ainsi, je suis digne de mon infortune ; et je merite tous les maux que je ressens. Chrisante voyant qu'il avoit cessé de parler, s'approcha de luy, pour tascher de luy donner quelque legere consolation : mais Artamene marchant tousjours ; et le regardant d'une maniere capable de donner de la compassion aux personnes les plus insensibles ; Non, non, luy dit-il, Chrisante, ce malheur n'est pas de ceux dont l'on peut estre consolé : et je n'ay qu'une voye à prendre, que je suivray sans doute bien tost. Ouy, Chrisante, j'auray du moins cette funeste consolation, que ce mesme feu qui a peut-estre bruslé ma Maistresse et mon Rival ; qui a confondu l'innocence et le crime ; et qui m'a privé tout ensemble, de l'objet de ma haine, et de celuy de mon amour, achevera encore de me détruire ; et meslera du moins mes Cendres, avec celles de mon adorable Princesse. en disant cela, il sembloit avoir toutes les marques d'un prochain desespoir sur le visage : sa voix avoit quelque chose de triste et de funeste : et toutes ses actions tesmoignoient assez, qu'il se preparoit à mourir. Cependant la pointe du jour venant à paroistre ; et l'approche du Soleil, diminuant quelque chose, de l'horreur de cét embrazement ; parce que la Mer, la Plaine, et les Montagnes, reprenoient une partie de leurs couleurs naturelles ; la face de cette funeste Scene, changea en quelque façon : et Feraulas vit presque en mesme temps deux choses, qu'il fit remarquer au mesme instant à son cher Maistre. Seigneur, luy dit-il, ne voyez vous pas en Mer, une Galere qui vogue, et qui semble faire beaucoup d'effort pour s'esloigner de cette malheureuse Ville ? Et ne voyez vous pas encore, comme quoy il semble que l'on ne songe qu'à esteindre le feu qui s'approche de cette grosse Tour, qui est sur le portail du Chasteau, et que l'on abandonne tout le reste pour la conserver ! Je voy l'un et l'autre, respondit Artamene ; Je ne sçay, adjousta Chrisante, si ce n'est point une marque asseurée, que la Princesse n'a pas encore pery : puis qu'il peut estre, qu'elle est dans cette Galere, ou dans cette Tour, que les flames n'ont pas encore embrazée. Helas ! (s'escria tout d'un coup Artamene) s'il estoit ainsi, que je serois heureux, de pouvoir conserver quelque espoir ! Il s'approcha alors beaucoup plus prés de la Ville : et voyant effectivement qu'il y avoit plusieurs personnes qui taschoient d'empescher le feu d'approcher de cette Tour ; Travaille (s'écria t'il en redoublant sa course) trop heureux Rival ; travaille pour le salut de nostre Princesse : et sois asseuré si tu la peux sauver de ce peril, que je te pardonne tous les maux que tu m'as faits. Ce Prince ne demeuroit pourtant pas long temps dans un mesme sentiment : tantost il faisoit des voeux pour sa Maistresse : tantost des imprecations contre son Rival. Un moment apres, regardant cette Galere, et luy semblant y remarquer des femmes sur la poupe, il s'en resjoüissoit beaucoup : puis venant à songer que quand ce seroit sa Maistresse, elle seroit tousjours perduë pour luy ; il rentroit dans son desespoir. Apres venant à considerer cette Tour, que la Mer et les flames environnoient de toutes parts ; et venant à penser, que peut-estre sa Princesse estoit enfermée en ce lieu-là, il changeoit de sentimens tout d'un coup ; et ces mesmes Troupes, qui estoient venuës pour détruire cette Ville, eurent commandement d'aider à en esteindre le feu. Artamene donc ne pouvant se resoudre de retourner sur ses pas, envoya Feraulas commander aux siens, de marcher en diligence, et de le suivre. Mais en approchant de Sinope, l'on sentoit un air si chaud et si embrazé ; et l'on entendoit un bruit si espouvantable, que tout autre qu'Artamene n'auroit jamais entrepris d'y aller. Le mugissement de la Mer ; le murmure du Vent ; le petillement de la flame, joint au bruit affreux, de la chutte des maisons entieres qui crouloient de fonds en comble ; et à toutes les plaintes, et à tous les cris que jettoient les mourants ; ou ceux que la peur d'une mort prochaine faisoit crier, causoient une confusion espouventable. De tous ces mugissemens, dis-je ; de tous ces murmures ; de tous ces cris ; de toutes ces chuttes de maisons, et de toutes ces plaintes, il se formoit un bruit si lugubre et si esclatant, que tous les Echos des Montagnes y respondans encore, en formoient une harmonie tres-funeste, s'il est permis d'appeller harmonie, un retentissement si rempli de confusion. Cela n'empescha pourtant pas Artamene de se faire entendre : car estant desja assez proche de la Ville, en un lieu où tous les siens l'avoient joint ; il se tourna vers eux, et leur dit avec une affection inconcevable ; Imaginez vous, mes Compagnons, que c'est moy qui suis dans cette Tour ; que c'est moy qui suis dans la necessité de perir, parmy les eaux, ou parmy les flames ; et que c'est à moy enfin à qui vous allez sauver la vie. Ou pour mieux dire encore, imaginez vous que vostre Roy ; vostre Princesse ; vos Femmes ; vos Peres ; et vos Enfans ; sont enfermez dans cette Tour avec Artamene, et y vont perir ; afin qu'estans poussez par des sentimens si tendres, vous agissiez avec plus de courage, et avec plus de diligence. Il faut, mes Compagnons, il faut aujourd'huy faire, ce qui n'a peut-estre jamais esté fait : il faut perdre nos ennemis, et les sauver ; il faut les combattre d'une main, et les secourir de l'autre ; et bref il faut faire toutes choses pour conserver une Princesse, qui doit estre vostre Reine ; et qui merite de l'estre de toute la Terre. A ces mots, Chrisante, Araspe, Aglatidas, et Hidaspe, qui commandoient chacun mille hommes en cette occasion ; s'approcherent d'Artamene, pour recevoir ses derniers ordres : et Feraulas qui estoit l'Agent de l'entreprise, et celuy qui avoit intelligence dans Sinope ; et auquel Artucas avoit promis de livrer une des Portes de la Ville cette mesme nuit ; fut aussi de ce conseil : et ce fut luy qui dit qu'il ne faloit pas laisser d'agir de la mesme façon, que si cette Ville n'estoit pas embrazée : et qu'ainsi sans chercher d'autres expediens, il faloit sans doute marcher droit à la porte du Temple de Mars. Parce, dit il, que si par hazard cét embrazement n'a pas encore mis toute la Ville en confusion ; par tout autre lieu que par celuy-là, nous pourrions trouver de la resistance : la coustume estant mesme en de semblables rencontres, de redoubler la Garde, de peur que l'incendie ne soit un artifice des ennemis, où au contraire nous sommes assurez de n'en trouver aucune par cét endroit : car si Artucas et les siens n'ont pas encore esté devorez par les flames, nous les trouverons prests à nous aider : et s'ils ont peri, aparemment nous ne trouverons là personne quï s'oppose à nostre passage. Cét aduis ayant esté trouvé raisonnable, ils resolurent apres, par quel lieu ils pourroient le plus commodément gagner le pied de la Tour : mais Aglatidas leur fit remarquer, que l'embrazement commençoit de diminuer du costé du Port ; parce que des Galeres et des Vaisseaux estans plustost consumez que des maisons, il faloit sans doute que le feu s'y esteignist plus tost qu'ailleurs ; et qu'ainsi il faloit prendre tout le long du Port ; afin de n'avoir presque plus à se garantir que d'un costé, et que par ce moyen, ils pourroient arriver avec assez de facilité au pied de la Tour. Artamene qui souhaittoit impatiemment d'y estre, ne voulut contredire à rien, de peur de les arrester davantage ; et se mit à marcher le premier ; commandant seulement aux siens, de crier par toute la Ville, qu'ils ne venoient que pour sauver la Princesse : afin que ce peuple entendant un Nom qui luy estoit si cher et si precieux, peust faire moins de resistance ; et mettre moins d'obstacle à leur dessein. Ils marcherent donc ; et Feraulas conduisant Artamene, (qui avoit mis pied à terre, aussi bien que tous ses Capitaines) à la porte du Temple de Mars ; ils y trouverent celuy qu'ils cherchoient : qui desesperé qu'il estoit, qu'Artamene devst arriver ; (car la veüe de ce funeste embrazement, l'avoit beaucoup retardé) commençoit de ne songer plus qu'à se mettre à couvert de la violence des flames. Mais il n'eut pas plustost veû ceux qu'il attendoit, qu'il fit ouvrir la porte, où il estoit peu accompagné : parce que malgré luy, une grande partie des siens estoit allé voir en quel estat estoient leurs Maisons ; leurs Peres ; leurs Enfans ; ou leurs Femmes. Ils n'eurent donc aucune peine à se rendre Maistres de cette porte : mais ils en eurent bien davantage, à se garantir du feu qu'ils trouvoient par tout. Artamene en marchant dans ces Ruës toutes enflamées, fut plusieurs fois exposé, à se voir accabler par la chutte des maisons : et si cét objet luy avoit semblé terrible par le dehors de la Ville, il luy sembla espouvantable par le dedans. Ils marchoient l'espée à la main droite, et le bouclier à la gauche ; dont ils eurent plus de besoin de se servir pour repousser les charbons ardants qui tomboient de toutes parts sur leurs testes ; que pour recevoir les traits de leurs Ennemis. Ce n'est pas que d'abord l'arrivée d'Artamene ne redoublast les cris et l'estonnement, parmy ce qui restoit de personnes vivantes dans cette Ville : et que ce Heros n'en vist plusieurs, qui estans occupez à esteindre le feu de leurs propres logemens, ou à sauver leurs familles ; quittoient cét office charitable, pour tascher de se rassembler, et de faire quelque resistance. Mais ils ne trouvoient dans ce grand desordre, ny armes, ny Chefs, ny compagnons capables de s'opposer à son passage. L'on voyoit en un lieu des gens qui abatoient leurs propres maisons, pour sauver celles de leurs voisins : l'on en voyoit d'autres qui jettoient ce qu'ils avoient de plus precieux par les fenestres, pour tascher d'en sauver au moins quelque chose : l'on voyoit des Meres, qui sans se soucier ny de meubles, ny de maisons, s'enfuyoient les cheveux desja à demy bruslez, avec leurs enfans seulement entre les bras : Enfin l'on voyoit des choses si pitoyables et si terribles tout ensemble ; que si Artamene n'eust pas esté emporté comme il l'estoit, par une passion violente ; il se fust arresté à chaque pas pour les secourir, tant ils estoient dignes de compassion, et tant il estoit sensible à leur misere. Cependant il avançoit tousjours : mais le bruit de sa venuë l'ayant pourtant devancé ; Aribée Gouverneur de Sinope, qui faisoit tous ses efforts, pour empescher que le feu ne gagnast la Tour, et qui occupoit en ce lieu, la meilleure partie de ce qui restoit de peuple et de soldats dans la Ville ; ne le sçeut pas plustost, qu'il se trouva dans une inquietude inconcevable ; et dans une incertitude, qu'on ne sçauroit exprimer : ne sçachant s'il devoit aller combattre, ou s'il devoit continuer de faire esteindre ce feu. Car, disoit il, que servira au Roy d'Assirie que je vainque, s'il est vaincu par les flames ? Mais que me servira t'il aussi à moy mesme d'esteindre ce feu, adjoustoit il, si je suis pris par Artamene ? moy qui suis son plus grand ennemy ; moy qui ay trahy le Roy mon Maistre ; moy qui ay servi à l'enlevement de la Princesse sa Fille ; et qui ay fait revolter ses Peuples. Ha ! non non, combattons Artamene, qui est aussi redoutable au Roy d'Assirie, que le feu et que les flames : et songeons à nostre conservation, en pensant à celle d'autruy. En disant cela, il commanda à ceux qui esteignoient le feu, et qui par des machines dont ils se servoient, taschoient de luy couper chemin, en abatant les maisons voisines, où il s'estoit attaché ; de prendre des armes s'ils en avoient ; d'en aller chercher en diligence s'ils n'en avoient point ; ou de s'en faire de tout ce qu'ils rencontreroient ; et mesme du feu et des flames ; plustost que de ne le secourir pas. Apres donc qu'Artamene eut traversé une partie de cette Ville embrazée ; et qu'ayant marché tout le long du Port, il fut arrivé proche de la Tour ; il fut bien surpris de voir que personne ne travailloit plus pour esteindre le feu, et qu'Aribée s'avançoit pour le combattre. Quoy, s'écria-t'il, je viens pour esteindre ces flames, et ce sera moy qui empescheray qu'on ne les estéigne ? Ha ! non non, mes Compagnons, il ne le faut pas. En disant cela, il commanda à une partie de siens, de songer à faire ce que les autres ne faisoient plus ; pendant qu'il combatroit ceux qui sembloient en avoir envie. Comme il estoit en cét estat, et qu'il s'avançoit vers le gros, à la teste duquel estoit Aribée ; il leva les yeux vers le haut de la Tour : et y reconnut le Roy d'Assirie : qui par une action toute desesperée, sembloit n'avoir autre dessein, que de choisir s'il se jetteroit dans les flames ou dans la Mer. Cette veuë ayant encore confirmé Artamene, dans la croyance que sa Maistresse n'estoit pas morte ; il redoubla les commandemens qu'il avoit desja faits, d'esteindre ce feu ; et marcha teste baissée vers ses Ennemis, qui venoient à luy, avec assez de resolution. Comme il fut proche d'eux, et qu'il reconnut distinctement qui estoit leur Chef ; Aribée, luy cria t'il, je ne viens pas aujourd'huy pour te combatre, et pour te punir : et il ne tiendra qu'à toy, que je n'obtienne ton pardon du Roy des Medes, si tu veux mettre les armes bas ; et m'ayder à, sauver ta Princesse et la mienne. Mais Aribée, qui croyoit son crime trop grand, pour luy pouvoir estre jamais pardonné ; et qui de plus, avoit appris une chose, qu'Artamene ignoroit encore ; au lieu de luy respondre, s'eslança vers luy l'espée haute, et commença un combat au milieu des feux et des flames ; qui n'estoit pas moins redoutable, par ce qui tomboit d'enhaut, que pour les coups qui partoient de la main d'un Ennemy invincible ; que l'Amour, la Haine, et la Vangeance, rendoient encore plus vaillant qu'à 1'accoustumée ; quoy qu'il fust toujours le plus vaillant homme du monde. Hidaspe, Artucas, Chrisante, Aglatidas, et Araspe ; se rangerent aupres d'Artamene : car pour Feraulas, ce fut luy qui eut ordre de faire continuer d'esteindre le feu. Ainsi le Roy d'Assirie voyoit tout à la fois, travailler à son falut et à sa perte ; vouloir sauver sa vie, et vaincre celuy qui l'avoit servi. Encore (disoit Artamene en luy mesme, et en jettant les yeux vers le haut de la Tour, où il voyoit tousjours son Rival) si ma Princesse regardoit ce que je fais pour la sauver, je serois bien moins malheureux : et si j'estois asseuré qu'elle vist ma mort, ou ma victoire, je n'aurois presque rien à desirer. Cependant la meslée se commence, et se continuë fort chaudement : et sans qu'Artamene cesse de fraper, il ne laisse pas d'avoir soin de voir si Feraulas fait bien executer ses ordres. Enfin dans cette confusion, il s'attache en un combat particulier contre Aribée, qui fut dangereux et opiniastré : car quoy que ce traistre eust en teste le plus redoutable des hommes, le desespoir faisoit en luy, ce que la valeur n'auroit pû faire en un autre. Neantmoins comme au contraire, Artamene combatoit alors avec espoir ; et qu'il estoit persuadé, qu'il n'y avoit plus que quelques murailles entre sa Princesse et luy ; il fit des choses prodigieuses. Il tua tout ce qui s'opposa à son passage ; et blessa Aribée en tant de lieux, qu'enfin il se seroit sans doute resolu de se rendre ; si tout d'un coup une maison enflamée ne fust tombée si prés du lieu où ils combatoient, qu'Aribée en fut enseveli sous ses ruines : et l'on creut qu'il avoit peri par le fer et par le feu, pour expier une rebellion criminelle, qui meritoit tous les deux ensemble. Artamene qui n'avoit pû estre blessé par son Ennemy, pensa estre accablé en cette rencontre, et se vit tout couvert de flame ; tout environné de charbons et de fumée : et s'il n'eust mis son Bouclier sur sa teste, il estoit infailliblement perdu. Toute sa Cotte d'armes en fut à demy bruslée : et peu s'en falut qu'il ne perist en cette rencontre. La chutte de cette maison, fit qu'il s'esleva en l'air une poussiere si espaisse : une fumée si noire ; et une nuée d'estincelles si bruslantes, que l'on fut quelque temps sans pouvoir rien voir de tout ce qui se passoit en ce lieu là. Ce qui surprit Artamene en cette occasion, fut que lors que cette maison embrazée tomba, Aribée, qui à ce qu'on pouvoit juger par son action, avoit eu dessein de se rendre, s'estoit reculé de quatre ou cinq pas : si bien que par là, il sembloit estre allé au devant de ce qui le devoit accabler : et par un miracle de la Fortune, Artamene, qui le touchoit de la pointe de son espée, ne se trouva pourtant point engagé sous ces perilleuses ruines. Apres cét accident, tout ce qui le secondoit s'estonna et s'enfuit : et nostre Heros faisant crier ; et leur criant luy mesme, qu'il venoit pour les servir, et qu'il ne vouloit point leur perte ; les obligea enfin à jetter leurs armes ; et à se fier en la parole d'un Vainqueur, qui'ls avoient autre-fois tant aymé. ainsi en fort de peu temps, tout le monde se trouva d'un mesme Parti : et Artamene encourageant les siens, et leur monstrant par son exemple, ce qu'il faloit faire pour esteindre le feu ; ce Peuple fut ravi de voir de charitables Ennemis. Ils abatirent des maisons avec des Beliers : ils employerent leurs Boucliers à jetter de l'eau, sur tout ce qui tomboit d'enflamé, de peur que cela n'embrazast ce qui ne l'estoit pas encore ; et enfin ils n'oublierent rien, de tout ce qu'ils jugerent qui pouvoit servir. Tous les Chefs firent des miracles en cette journée : mais entre les autres, Aglatidas sembloit avoir eu dessein, de chercher plustost la mort que la victoire ; tant il s'estoit courageusement exposé à la fureur des flames, et au desespoir des Ennnemis. Cependant Artamene voyant que le feu commençoit de diminuër, se resjoüissoit en luy mesme, dans l'esperance qu'il avoit, de revoir bien tost sa chere Princesse. Elle est, disoit-il en son coeur, dans cette Tour : et si je ne suis le plus malheureux des hommes, je verray dans quelques moments, cette adorable personne : et j'entendray peut-estre sa belle bouche, m'appeller son Liberateur. Enfin, disoit il encore, je verray bien tost l'objet de ma haine et de mon amour. En effet, le feu ayant esté esteint de ce costé là ; et estant arrivé à la porte de la Tour, qui commençoit desja de s'embrazer, il envoya s'asseurer de toutes les portes de la Ville ; mais comme il voulut faire enfoncer celle de cette Tour, ne sçachant s'il n'y trouveroit point encore quelque resistance ; il vit un homme de fort bonne mine qui la luy ouvrit ; et qui au lieu de luy en disputer l'entrée, comme il eust fait, s'il ne l'eust pas reconnu auparavant du haut des creneaux ; luy dit avec beaucoup de respect, Seigneur, si le Nom de Thrasibule n'est pas sorti de vostre mémoire, accordez luy la grace d'employer vostre authorité, pour empescher la perte d'une illustre Personne, que le desespoir va sans doute faire perir, sur le haut de cette Tour, si vous ne m'aydez à la secourir promptement. Artamene, qui creut que c'estoit sa Princesse, qui estoit en cette extremité, ne s'amusa pas à faire un long compliment, au genereux Thrasibule, qu'il reconnut d'abord à la voix ; Allons mon ancien vainqueur (dit il à ce fameux Pirate qui n'avoit point déguisé son veritable Nom, parce qu'estant fort commun parmi les Grecs, il ne pouvoit pas le faire reconnoistre) allons secourir cette personne illustre : et en disant ces paroles avec assez de precipitation ; il monta l'escalier, suivi de grand nombre des siens ; mais particulierement d'Hidaspe ; de Chrisante ; d'Aglatidas ; de Thrasibule, et de Feraulas : et tous, excepté Thrasibule, estoient estonnez de ne rencontrer point de Soldats dans cette Tour, et de n'en voir point dans le reste du Chasteau. Araspe par les ordres d'Artamene, demeura à la porte avec ses compagnons, afin de ne s'exposer pas mal à propos à quelque surprise. Ce Prince donc impatient de revoir sa Maistresse, marche le premier ; et devançant les autres d'assez loing, arrive au haut de cette Tour. Mais helas, quel desplaisir, et quel estonnement fut le sien ! lors qu'au lieu d'y voir sa Princesse, il n'y vit que le Roy d'Assirie ; c'est à dire le ravisseur de Mandane, son Rival et son Ennemi : mais un Ennemi sans armes, et accablé de douleur. Artamene se tourna alors vers Thrasibule, comme pour luy demander, si c'estoit là cette illustre personne, dont il luy avoit voulu parler ; et voyant que tous ceux qui l'avoient suivi, vouloient aussi estre sur le haut de cette Tour ; et prevoyant que sa conversation avec le Roy d'Assirie, ne seroit pas d'un stile à estre escoutée de tant de monde ; il leur fit signe qu'ils se retirassent, se preparant à demander où estoit sa Princesse ; croyant encore qu'elle pouvoit estre dans un Apartement plus bas, ou en quelque autre lieu du Chasteau. Mais il fut bien surpris d'entendre que le Roy d'Assirie luy dit ; Tu vois, Artamene, tu vois un Prince bien plus malheureux que toy ; puis qu'il est la cause de son malheur et du tien. Mais tu peux voir en mesme temps (adjousta t'il, en luy monstrant une Galere qui paroissoit en Mer, et qui n'estoit pas encore fort esloignée, parce qu'elle avoit le vent contraire) un autre ravisseur de nostre Princesse, bien plus criminel que moy ; puis qu'il m'avoit promis une amitié inviolable ; et que je ne t'avois jamais fait esperer nulle part en mon affection. Quoy (s'écria alors Artamene, en regardant cette Galere, et ne regardant plus son Ennemi ; (la Princesse n'est plus en tes mains ? Non, luy respondit le Roy d'Assirie en soupirant : le Prince Mazare, le plus infidelle de tous les hommes me l'enleve ; et t'oste le plus doux fruit de ta victoire. Mais puis que tu ne peux satisfaire ton amour, par la veuë de ta Princesse ; satisfaits du moins ta haine, par la vangeance que tu peux prendre de ton Rival. Tu vois que je ne suis pas en estat de t'en empescher ; et si j'avois pû ne suivre pas des yeux cette Galere, tant qu'elle paroistra le long de cette côste ; il y auroit desja long temps que je me serois jetté dans la Mer ou dans les flames, pour achever mes mal-heurs, et pour ne tomber pas entre les mains de mon Ennemi. Les Ennemis d'Artamene (luy respondit ce genereux affligé) n'ont rien à craindre de luy, que lors qu'ils ont les armes à la main : et l'estat où je te voy, te met à couvert de ma haine, et de mon ressentiment. A ces mots, Artamene se sentit si accablé de douleur, que jamais personne ne le fut davantage : il voyoit sa Maistresse une seconde fois enlevée, et ne pouvoit la suivre ny la secourir : puis que tous les vaisseaux et toutes les Galeres, qui estoient dans le Port, ayant peri par les flames, il n'estoit pas en sa puissance de suivre ce dernier ravisseur pour le punir. Il voyoit d'autre costé ton premier Rival en son pouvoir : mais il le voyoit seul et sans armes ; et sans autre dessein que celuy de songer à mourir. En ce pitoyable estat, desesperé qu'il estoit, par une affliction sans égale, comme sans remede ; il y avoit des momens où sa generosité n'estoit assez sorte, pour l'empescher de penser à satisfaire en quelque façon sa vangeance, par la perte de son Rival : il y en avoit d'autres aussi, où il n'en vouloit qu'à sa propre vie : et dans cette cruelle incertitude de sentimens, ne sçachant ce qu'il devoit faire, ny mesme ce qu'il vouloit faire ; il entendit le Roy d'Assirie qui luy cria, Tu vois, Artamene, tu vois que la Fortune te favorisé en toutes choses : que le vent s'estant renforcé, repousse cette Galere vers le rivage : et que peut-estre bien tost, tu reverras ta Princesse. Artamene regardant alors vers la Mer, vit effectivement que par la violence d'un vent contraire, cette Galere c'estoit si fort raprochée, que l'on pouvoit facilement distinguer des Femmes, qui paroissoient sur la Poupe : et remarquer en mesme temps, qu'avec un prodigieux et vain effort, la Chiurme faisoit ce que les Mariniers appellent Passe-vogue, pour resister aux vagues et aux vents ; et pour s'esloigner de la terre à force de rames. A cét instant, l'on vit de la joye dans les yeux d'Artamene : mais pour le Roy d'Assirie l'on ne vit que de la douleur, et du desespoir dans les siens ; sçachant bien que quand le vent repousseroit cette Galere dans le Port, ce ne seroit qu'à l'avantage d'Artamene, et que ce ne pouvoit estre au sien. Il s'imaginoit pourtant quelque espece de consolation, dans l'esperance qu'il concevoit, de pouvoir punir Mazare. Ne me permettras tu pas, dit il à Artamene, si les Dieux te redonnent ta Princesse, de t'espargner la peine de chastier ton ravisseur ? et ne souffriras tu pas que pour faire ce combat, l'on me donne une espée ? que je te promets de passer un moment apres ma victoire au travers de mon coeur, afin de te laisser joüir en paix, d'un bon heur que je te disputerois toujours, tant que je serois en vie. Cette vangeance me doit estre reservée, reprit Artamene : et puis que par le respect que je porte au Roy d'Assirie, desarmé et malheureux, je me prive du plaisir de me vanger de luy ; il faut du moins que je me reserve celuy de punir Mazare, et de sa perfidie, etde sa temerité. Apres cela, ces deux Rivaux sans se souvenir presque plus de leur haine, se mirent à regarder l un et l'autre cette Galere : et faisant tantost des voeux, et tantost des imprecations, comme s'ils n'eussent eu qu'un mesme interest ; il y avoit des momens, où l'on eust dit qu'ils estoient Amis, tant cét objet dominant attachoit leurs yeux, leurs esprits, et leurs pensées. Mais enfin ils virent que tout d'un coup, la Mer changea de couleur ; que ses vagues s'esleverent ; et que grossissant encore en un moment, elles portoient tantost la Galere dans les Cieux ; et tantost elles l'enfonçoient dans les abismes, Cette triste veuë faisant alors un mesme effet, dans ces coeurs également passionnez ; Artamene regarda le Roy d'Assirie, avec une douleur inconcevable : et le Roy d'Assirie regarda Artamene, avec un desespoir que l'on ne sçauroit exprimer. Ce fut alors que l'égalité de leur malheur, suspendit tous leurs autres sentimens ; et qu'ils esprouverent tout ce que l'amour peut faire esprouver de douloureux et de sensible. Ils voyoient que si le vent continuoit de souffler du costé qu'il estoit, cette Galere se viendroit infailliblement briser contre le pied de la Tour où ils estoient ; si bien que faisant des voeux tous contraires à ceux qu'ils avoient faits un peu auparavant ; ils desiroient que le vent secondast les voeux du ravisseur, et qu'il l'esloignast de la terre. Cependant la tempeste se redoubla : et selon le caprice, et l'inconstance de la Mer, le vent ayant par des tourbillons qui s'entre-choquoient, esté quelque temps en balance ; comme s'il n'eust pû determiner de quel costé il devoit se ranger ; tout d'un coup il esloigna la Galere de la Ville : et luy fit raser la Côste avec tant de vistesse, que ces deux Rivaux la perdirent de veuë en un instant : et perdirent avec elle, tout ce qui leur restoit d'esperance, voyant tousjours durer l'orage aussi fort qu'auparavant. Que ne dirent point apres cela, ces deux illustres malheureux ; dans la crainte qu'ils avoient, voyant continuer la tempeste, que leur Princesse ne fist naufrage ? Ils eussent bien voulu pouvoir separer Mazare de Mandane ; et ne luy donner point de part aux voeux qu'ils faisoient pour elle : mais apres tout, ils consentoient au salut du Rival, plus tost que de se consentir à la perte de la Maistresse. Ils se la souhaiterent mesme plus d'une fois l'un a l'autre, plustost que de la sçavoir exposée au danger où elle estoit : et plus d'une fois aussi, ils se repentirent de leurs propres souhaits. Cependant cét objet qui avoit comme suspendu toutes leurs passions, et toutes leurs pensées, n'estant plus devant leurs yeux ; ils recommencerent de se regarder comme auparavant : c'est à dire comme deux Rivaux, et comme deux Ennemis. Artamene estoit pres de s'en aller, et de commander que l'on gardast le Roy d'Assirie ; lors que ce Prince luy dit, je sçay bien que ta naissance est égale à la mienne : et je le sçay par des voyes si differentes, et si asseurées, que je n'en sçaurois douter : c'est pourquoy me confiant en cette generosité, de laquelle j'ay esté si souvent le secret admirateur malgré ma haine ; et que j'ay si souvent esprouvée ; je veux croire encore, que tu ne me refuseras pas une grace que je te veux demander. Comme à mon Rival, luy respondit Artamene, je te dois refuser toute chose : mais comme au Roy d'Assirie, je te dois accorder tout ce qui n'offensera point le Roy que je sers, ou la Princesse sa fille : c'est pourquoy fois asseuré que je ne te refuseray rien de tout ce qui ne choquera point ny mon honneur, ny mon amour : et je t'en engage la parole d'un homme, qui comme tu dis, n'est pas de naissance inégale à la tienne, quoy qu'il ne passe pas pour cela, dans l'opinion de toute la Terre. Demande donc ce que tu voudras : mais consulte auparavant ta propre vertu, pour ne forcer pas la mienne à te refuser malgré elle. Le Roy d'Assirie voyant qu'il avoit cessé de parler ; je sçay bien, luy dit il, que tu peux me remettre entre les mains de Ciaxare : et qu'apres luy avoir conquis la meilleure partie de mon Royaume, il te seroit en quelque façon avantageux, de luy en remettre le Roy dans ses fers. Mais tu és trop brave, pour vouloir que la Fortune t'ayde à triompher d'un homme fait comme moy ; et pour te prevaloir de la captivité d'un Rival, que tu ne sçaurois croire qu'homme de coeur, puis qu'il à desja mesuré ton espée avec la tienne. Dans les termes où est ma passion pour la Princesse, je ne te celle pas qu'il faut de necessité que je meure avant que tu la possedes : ne me prive donc pas inutilement de la gloire d'avoir contribué quelque chose, à la punition de nostre Ennemy commun, et à la liberté de la Princesse : te promettant apres cela, quand mesme le destin me seroit favorable, et me feroit retrouver l'illustre Mandane ; de ne songer jamais à la persuader à ton prejudice ; que par un combat particulier, le fort des armes n'ait decidé de nostre Fortune. je voy bien, Artamene, adjousta t'il, que ce que je veux est difficile : mais si ton ame n'estoit capable que des choses aisées, tu serois indigne d'estre mon Rival. Il est vray, reprit Artamene, qu'il ne m'est pas aisé de faire ce que tu desires : et qu'il me fera bien plus facile, de terminer nos differens, te faisant redonner une espée ; que de t'accorder cette liberté que tu me demandes ; et qui n'est pas peut-estre tant en mon pouvoir que tu le crois. Comme mon amour n'est pas moins sorte que la tienne, reprit le Roy d'Assirie, peut-estre que le desir de combattre n'est pas moins violent dans mon coeur, que dans celuy d'Artamene : Mais comme je ne veux combattre Artamene que pour la possession de la Princesse ; et qu'elle n'est pas en estat de pouvoir estre le prix du Vainqueur ; il faut Artamene, il faut aller apres le Ravisseur de Mandane, et travailler conjointement à sa liberté, y ayant égal interest. Ne consideres tu point que si nous perissions tous deux dans ce combat, Mandane, l'illustre Mandane, demeureroit sans protection et sans deffence, entre les mains de nostre Rival ? A ces mots, Artamene s'arresta un moment : puis reprenant la parole ; il ne seroit sans doute pas juste, dit il, d'exposer nostre Princesse, à un semblable malheur : mais il n'est pas équitable non plus, que commandant les armes du Roy des Medes, je dispose souverainement de la liberté d'un prisonnier, comme est le Roy d'Assirie. Tout ce que je puis avec honneur ; c'est de luy promettre, d'employer tous mes soins, et tout mon credit, pour la luy faire rendre, s'il m'est possible, et de n'oublier rien pour cela. Mais pour luy tesmoigner, adjousta t'il, que je ne veux pas m'espargner la peine qui se rencontre à combattre un si redoutable Ennemy ; ny m'en exempter laschement, en le retenant prisonnier ; je veux bien luy engager ma parole, de ne pretendre jamais rien à la possession de la Princesse, quand mesme elle seroit en ma puissance ; quand mesme le Roy des Medes y consentiroit ; et quand mesme elle le voudroit, qu'auparavant par un combat particulier ; le sort des armes ne m'ait rendu son Vainqueur. Je ne sçaurois nier, luy dit le Roy d'Assirie, que vous n'ayez raison d'en user comme vous faites ; et que je n'aye eu tort de vous faire cette demande : mais advoüant que vous estes plus sage que moy, confessez aussi que je suis plus amoureux que vous, puis que je le suis jusques à perdre la raison, que vous conservez toute entiere. je vous disputeray, luy repliqua Artamene, cette derniere qualité, bien plus opiniastrément que l'autre : Le Roy d'Assirie le supplia alors sans luy repliquer, de se souvenir, que peut-estre ne seroit il pas inutile pour la liberté de la Princesse : et qu'ainsi par cette seule raison, il le conjuroit de travailler pour la sienne. A ces mots Artamene se retira, apres avoir mis le Roy d'Assirie sous la garde d'Araspe : luy ordonnant de le traiter avec tout le respect, et toute la civilité possible : et de le mener à son Apartement accoustumé. Le Roy d'Assirie l'entendant, respondit que ce devoit estre le sien : mais Artamene ne le voulut pas : et s'en separant à l'instant mesme, il s'en alla dans toutes les Ruës, pour tenir le Peuple en son devoir ; et pour faire achever d'esteindre le feu.A la recherche de la galère du ravisseur de MandaneIl envoya tout le long des Cistes, pour voir si l'on n'apprendroit rien de la Galere, qui avoit enlevé sa Princesse : et il depescha un des siens vers Ciaxare, pour l'advertir de ce qui s'estoit passé. Enfin il employa tout le reste du jour à donner ses ordres : et le soir estant venu, il se retira dans le mesme Apartement que sa Princesse avoit occupé, à ce qu'il sçeut par Thrasibule ; auquel Artamene fit toute la civilité, que l'extréme inquietude où il estoit, luy pût permettre de luy faire. Il sçeut qu'estant arrivé seulement depuis un jour dans ce Port, pour y faire radouber ses Vaisseaux, qui avoient esté battus de la tempeste ; le Roy d'Assirie l'y avoit fort bien reçeu : et l'avoit obligé de loger dans le Chasteau, où il avoit veû la Princesse de Medie : mais que la nuit derniere, l'on avoit entendu tout d'un coup, le bruit que faisoient les Vaisseaux embrazez, qui en suite avoient mis le feu aux maisons voisines. Qu'à ce bruit, le Roy d'Assirie ayant voulu prendre son espée, ne l'avoit plus trouvée à sa place, et qu'ayant voulu aller à l'Apartement de la Princesse, il l'avoit trouvé fermé : et n'avoit trouvé aucun des Soldats qui avoient accoustumé de garder le Chasteau. Qu'aussi tost il avoit appellé quelques uns des siens, qui avoient ouvert par force cét Apartement, et qui n'y avoient trouvé personne. Que cependant ayant voulu faire sortir tous les domestiques, et voulu sortir luy mesme, il luy avoit esté impossible ; à cause de l'embrazement. Et que depuis cela, il avoit toujours esté sur le haut de cette Tour, à considerer son infortune : resolu à tous les momens, de se jetter dans la Mer ou dans les flames. Thrasibule n'en pouvoit pas dire d'avantage : car il n'y avoit encore qu'un jour qu'il estoit arrivé à Sinope : il laissa donc Artamene dans cét Apartement ; apres que ce Prince l'eut asseuré en s'en separant, qu'il auroit soing de le faire recompenser par le Roy, de la perte de ses Vaisseaux, que le feu avoit devorez : le loüant infiniment de sa moderation ; luy qui dans un accident tant inopiné, ne s'amusoit point à des regrets inutiles ; et souffroit en homme de coeur, une perte si considerable. Artamene passa la nuit avec des inquietudes que l'on ne sçauroit concevoir : voicy, disoit il en luy mesme, le lieu de la persecution de ma Princesse ; et voicy peut-estré l'endroit où elle s'est souvenuë de moy avec douleur ; et où peut-estre elle à regretté le malheureux Artamene. Du moins sçay-je bien qu'elle en a parlé : Car, par quelle autre voye le Roy d'Assirie auroit il pû sçavoir, qu'Artamene n'est pas veritablement Artamene ? moy qui dans le temps que je l'ay veû à la Cour de Capadoce, ne le croyois estre que Philidaspe ; c'est à dire un simple Chevalier, tel qu'il se disoit ; quoy que je fusse pour le moins aussi amoureux que luy ; et par consequent aussi difficile à tromper ? Mais helas ! adorable Princesse, pourquoy faut il que je fois dans vostre prison ; que vostre persecuteur soit icy, et que vous n'y soyez pas ? Je tiens un Rival que je ne puis punir ; je pers une Maistresse que je ne puis sauver, et sa beauté qui fait tout mon bon-heur et toute sa gloire, fait aussi toute mon infortune et tout son mal-heur. Elle luy donne des Adorateurs ; mais des Adorateurs sans respect : et en quelque lieu qu'elle aille, elle me donne des Rivaux et des Ennemis. Ha ! beaux yeux, s'ecrioit il, comme est-il possible que vous inspiriez des sentimens si injustes ; et si déreglez ; Vous, dis-je, qui n'avez jamais porté dans mon coeur, que de la crainte, et de la veneration ? Moy qui n'ay presque jamais osé vous dire que je vous aymois : moy qui ne vous ay regardé qu'en tremblant ; moy qui vous ay si long temps adorez en secret ; et moy, dis-je enfin, qui serois plustost mort mille fois, que de vous faire voir dans mes actions, la moindre chose qui vous peust desplaire. Cependant vous avez embrazé des coeurs indignes de vous : et des coeurs qui sans considerer ce qu'ils vous doivent, n'ont consideré que ce qui leur plaist. Cependant je ne sçaurois me repentir de ma respectueuse passion : et je ne sçay si tout malheureux que je suis ; si tout esloigné que je me trouve de ma Princesse, je n'aime pas encore mieux estre Artamene, que d'estre Mazare. Ce n'est pas poursuivit il, qu'il ne soit heureux dans son crime : car enfin il la voit ; il luy parle ; et il luy parle de sa passion. Mais sans doute aussi qu'elle luy respond avec mépris ; et que les mesmes yeux qui sont son plaisir et sa gloire, sont aussi sa peine et son chastiment, par les marques de leur colere. En un mot, je pense que j'ayme mieux estre innocent dans le coeur de ma Princesse, qu'estre seulement à ses pieds comme un Criminel. Mais Ciel ! adjoustoit il tout d'un coup ; qui m'a dit que cette tempeste qui s'est eslevée, et qui dure encore, ne l'aura pas fait perir ; et de quelles flateuses pensées laissez-je entretenir mon espoir, dans l'incertitude où j'en suis ? Comme il en estoit là, il entendit un bruit assez grand : et Chrisante estant entré dans sa chambre, Seigneur, luy dit-il, l'on delivre le Roy d'Assirie ; ou pour mieux dire, on l'a desja delivré. Araspe ayant entendu quelque bruit dans la chambre du Roy prisonnier, où par respect il n'avoit pas voulu coucher ; l'a ouverte, et ne l'y a plus trouvé. A l'instant mesme nous sommes sortis ; nous avons cherché ; et nous avons veû que sous une fenestre qui respond vers une maison bruslée ; un amas de ruines et de cendres, a comblé le fossé du Chateau en cét endroit, et a eslevé un grand monceau de ces matieres fumantes, à la faveur duquel nous jugeons que ce Prince s'est sauvé. Artamene surpris d'une nouvelle si fascheuse, envoya promptement ses ordres à toutes les Portes de Sinope ; et fut luy mesme en personne, pour tascher de retrouver son prisonnier. Mais durant qu'il estoit à un des bouts de la Ville, il sçeut qu'une troupe de gens armez paroissoit à l'autre ; et qu'ils taschoient de se rendre Maistres de la Porte. Il y courut aussi tost ; mais il y arriva trop tard : car le Roy d'Assirie estoit desja sorti, et avoit forcé le Corps de Garde. Il y avoit pourtant encore quelques uns des siens, commandez par Aribée, que l'on avoit creû mort, et qui s'estoit retiré de dessous ces ruines qui l'avoient enseveli ; qui pour donner temps au Roy d'Assirie de se sauver, rendoient encore avec luy quelque combat, malgré les blessures que ce perfide avoit desja reçeuës. Mais Artamene ne l'eut pas plustost reconnu, qu'il luy dit ; Traistre, tu és donc ressuscité, pour trahir encore une fois ton Maistre ! Mais si tu veux échaper de mes mains, il faut que les tiennes m'ostent la vie. En disant cela, il fut à luy, avec une impetuosité si grande ; qu'Aribée, quoy que courageux, fut contraint de lascher le pied. Ce ne fut neantmoins reculer sa perte que d'un moment : car Artamene le pressa de telle sorte ; qu'il ne songea plus qu'à parer les coups qu'il luy portoit : cedant visiblement à la valeur d'un homme, qui ne combatoit gueres sans vaincre. Il luy donna donc enfin un si grand coup d'espée à travers le corps, au deffaut de sa cuirasse, qu'il l'abatit à ses pieds. Là, il advoüa avant qu'expirer, que s'estant retiré de dessous ces ruines, il avoit rassemblé tout ce qu'il avoit pû des siens, qu'il avoit fait cacher parmi ces maisons bruslées : et qu'ayant sçeu en quel Apartement estoit le Roy d'Assirie, il avoit esté au commencement de la nuit, monter sur cét amas de cendres et de bois à demi consumé ; faire quelque bruit à la fenestre de ce Prince, pour l'obliger à y regarder ; et que la chose luy ayant succedé, il l'avoit fait sauver par cette fenestre. A ces mots, cét infidelle perdit la parole et la vie : et tous ses compagnons le voyant en cét estat, prirent aussi tost la suite. Mais Artamene fut contraint de ne poursuivre pas davantage un Prince, que l'obscurité de la nuit, déroboit facilement à ses soins. Comme il s'en fut retourné au Chasteau, il dépescha vers Ciaxare, pour l'advertir de cét accident : et s'occupa tout le reste de la nuit, à considerer le caprice de sa fortune et de son malheur. Repassant donc tout ce qui luy estoit arrivé, il s'estonnoit quelquesfois, qu'une vie aussi peu avancée que la sienne, eust desja esté subjette à tant d'evenemens extraordinaires : et se promenant seul dans sa chambre (car il n'avoit pû se resoudre de se remettre au lit) il apperçeut sur la table des Tablettes de feüilles de Palmier, assez magnifiques : Mais helas ! quelle surprise fut la sienne, lors qu'en les ouvrant, il vit qu'il y avoit quelque chose qui estoit escrit de la main de sa Princesse. Il les regarde de plus prés ; il parcourt en un moment toutes ces precieuses lignes ; et apres s'estre fortement confirmé en l'opinion que c'estoit elle qui les avoit tracées : il lût distinctement ces paroles.A PRINCESSE MANDANE, AU ROY D'ASSIRIE.Souvenez vous, Seigneur, que vous m'avez dit plus de cent fois, que rien ne pouvoit resister à Mandane ; afin que vous en souvenant, vous n'accusiez pas le genereux Mazare d'une infidelité, que mes larmes, mes prieres, et mes plaintes, luy ont persuadé de commettre : sans qu'il ait autre interest en ma liberté, que celuy que la vertu inspire aux Ames bien nées, en faveur des Personnes malheureuses. Resoluez vous donc à luy pardonner un crime, qui à parler raisonnablement, vous est en quelque façon avantageux ; puis qu'il vous oste les moyens d'attirer mon aversion, par les tesmoignages que vous me donnez de vostre amour. Sçachez donc que je protegeray dans la Cour du Roy mon Pere, celuy qui m'a protegée dans la vostre : et que c'est par le pardon de Mazare que vous pouvez obtenir le vostre de la Princesse de Medie : et trouver quelque place en son estime, n'en pouvant jamais avoir en son affection.MANDANE.Artamene achevant de lire ce Billet, se repentit de tout ce qu'il avoit dit et pensé contre Mazare ; et admirant sa generosité, il faisoit autant de voeux pour son falut, qu'il en avoit fait pour sa perte. Que les apparences sont trompeuses, disoit il, et qu'il y a de temerité à juger des sentimens d'autruy, à moins que d'en estre pleinement informé ! Qui n'eust pas dit que Mazare estoit le plus criminel des hommes ; et que l'infidelité qu'il avoit euë pour le Roy d'Assirie, ne pouvoit avoir d'autre cause qu'une injuste amour ? Cependant il se trouve que la pitié et la compassion, sont les veritables motifs qui l'ont fait agir : et il n'a pas tenu à luy que je ne fois parfaitement heureux. Mais, adjoustoit il, si la tempeste a espargné sa Galere, comme je le veux esperer ; mon bon heur ne me fera pas long temps differé : et je n'auray bien tost plus d'autre desplaisir, que celuy de n'avoir rien contribué à la liberté de ma Princesse ; et d'estre arrivé trop tard pour la delivrer. Mais qu'importe, poursuivoit il, par quelles mains le bon heur nous arrive, pourveû que nous le recevions ? Joüissons donc de cette esperance : et disposons nous à estre l'Ami de Mazare ; et à le proteger contre le Roy d'Assirie. Apres un semblable raisonnement, il se mit à relire ce que la Princesse de Medie avoit escrit : et apres l'avoir releû diverses fois, il se mit à regarder, s'il n'y avoit plus rien dans ces Tablettes. Mais helas ! il y trouva ce qu'il ne croyoit pas y rencontrer. C'estoit un Billet de Mazare au Roy d'Assirie, qui estoit conçeu en ces termes.MAZARE PRINCE DES SACES, AU ROY D'ASSIRIE.Bien loing de vous cacher mon crime, je veux vous le descouvrir aussi grand qu'il est. Je ne vous fais pas seulement une infidelité ; je trompe encore la Personne du monde pour laquelle j'ay le plus de veneration ; qui est sans doute la Princesse Mandane. Elle croit que je songe à la soulager dans ses malheurs ; lors que je ne pense qu'à diminuer les miens. Enfin je suis coupable envers elle comme envers vous ; et je le suis encore envers moy mesme ; puis que selon toutes les apparences, je fais un crime inutilement. Mais qu'y ferois-je ? l'Amour m'y force et m'y contraint ; et je ne me suis pas rendu sans combatre. Si vous estes veritablement genereux, vous me plaindrez ; si non, vous chercherez les voyes de vous vanger, sans que je m'en plaigne. Je vous declare toutefois, que je seray assez bien puni par Mandane, puis qu'Artamene est assez bien dans son coeur pour en deffendre l'entrée ; et à vous et à moy ; et à tous les Princes de la Terre : et pour me punir de tout ce que je fais malgré que j'en aye, et contre vous, et contre l'exacte generosité.MAZARE.Que vois-je, dit alors Artamene, et que ne dois-je point craindre de voir ? je pense avoir trouvé un Ami, et un moment apres je retrouve un Rival ! et un Rival encore, qui peut-estre a employé mon Nom, pour abuser ma Princesse, et pour l'enlever. Mais, genereuse Princesse, puis-je esperer pour me consoler, que je fois aussi bien dans ton coeur, que Mazare tesmoigne le croire ? Ha ! s'il est ainsi Fortune, que je suis heureux, et malheureux tout ensemble ! heureux de posseder un honneur que tous les Rois de la Terre ne sçauroient jamais meriter ; et malheureux d'avoir quelque droit à un thresor, dont la possession m'est deffenduë. Le Destin capricieux, qui regle mes avantures, ne me montre jamais aucun bien, que pour m'en rendre la privation plus sensible : je ne connois la douceur, que pour mieux gouster l'amertume : et je n'aprens que je suis aimé, que lors que par l'excés de mes infortunes, je suis contraint de haïr la vie, et de souhaiter la mort. Comme il en estoit là, on luy vint dire que l'on n'avoit rien appris de cette Galere où estoit la Princesse, le long du rivage de la Mer : ce qui le consola en quelque façon ; dans la peur où il estoit, qu'elle n'eust fait un triste naufrage : et ce qui l'obligea à souffrir la veuë de tous les Chefs qui l'avoient suivi. Hidaspe, Chrisante, Aglatidas, Araspe, Feraulas, et Thrasibule, cét illustre Grec, entrerent tous dans sa Chambre : où Artamene ayant entretenu ce dernier en particulier, luy dit qu'il estoit bien fasché, de ne pouvoir aussi promptement qu'il l'eust desiré, luy rendre d'autres Vaisseaux : Mais que s'il estoit vray qu'il ne courust la Mer, que pour se mettre en seureté de ses Ennemis, ainsi qu'on le luy avoit dit, il l'assuroit de luy faire trouver un Azile inviolable à la Cour du Roy des Medes : et de l'obliger mesme à le remettre dans son Estat, aussi tost qu'il auroit retrouvé la Princesse sa Fille. Thrasibule le remercia fort civilement de cette offre obligeante, et l'accepta : ne pouvant faire autre chose, en un temps où il n'avoit point à choisir : joint que la valeur, et les rares qualitez d'Artamene, luy avoient donné tant d'amour, dés la premiere fois qu'il l'avoit connu, qu'il estoit presque consolé de sa disgrace, par une si heureuse rencontre. Artamene donc luy faisant beaucoup d'honneur, sortit avec luy, et avec tous ces autres Chefs, et fut par les Ruës de cette Ville : où le feu estoit veritablement esteint, mais où la desolation n'estoit pas passée. Cette noirceur espouvantable qui paroissoit par tout ; ces poûtres à demi bruslées ; et tous ces bastimens ruinez ; inspiroient quelque chose de si lugubre dans l'imagination ; qu'il eust esté difficile de pouvoir rien penser que de triste, en un lieu qui paroissoit si funeste. L'on y voyoit diverses personnes, qui parmi les cendres de leurs maisons, cherchoient leurs thresors fondus : et l'on en voyoit d'autres, qui poussez par un sentiment plus tendre, cherchoient sous ces ruines à demy consumées, les os de leurs Parens ou de leurs Amis. Artamene touché par des objets si tristes, consola tous ceux qui se trouverent sur son passage : et promit aux habitans en general, malgré leur rebellion, d'obliger le Roy à faire rebastir leur Ville. Feraulas presenta alors un homme à Artamene, qui luy donna une Lettre de la part du Roy d'Assirie : il la prit, et l'ayant leuë tout bas, il trouva ces paroles ; lors qu'il eut rompu les cachets des Tablettes de cire où elles estoient gravées.LE ROY D'ASSIRIE A ARTAMENE.Je louë cette scrupuleuse vertu, qui vous a forcé de n'escouter pas vostre generosité ; elle qui auroit sans doute esté bien aise, d'accorder la liberté à un Ennemy qui vous la demandoit : si elle eust pû consentir que vous eussiez un peu manqué à ce que vous deviez au Roy des Medes. Mais comme je suis equitable envers vous, ne soyez pas injuste envers moy, et ne blasmez pas un Prince, qui ne se seroit pas sauvé, si vous l'aviez laissé sur sa foy : et qui n'a pas creû faire un crime de s'échaper de ses Gardes pour tascher de delivrer nostre Princesse. Pour vous tesmoigner qu'en rompant ma prison, je n'ay pas rompu les conditions de nostre Traité ; je vous promets tout de nouveau, de vous advertir de toutes choses : de ne faire plus la guerre contre le Roy des Medes : de luy envoyer des Troupes : et ce qui est le plus difficile à executer, je vous promets encore une fois, de ne parler jamais de ma passion à la Princesse, quand mesme ce seroit moy qui la delivrerois ; que vostre deffaite ne m'en ait donné la liberté. Faites ce que je feray : et gardez la fidelité à un Ennemi, si vous voulez qu'il vous la garde.LE ROY D'ASSIRIE.Artamene leût cette Lettre avec joye, et avec chagrin tout ensemble : il estoit bien aise de la promesse que le Roy d'Assirie luy faisoit : car enfin la Princesse pouvoit aussi tost tomber entre les mains de Labinet, qu'entre les siennes. Mais d'autre part, il estoit fasché d'avoir reçeu devant tant de monde, une Lettre du Roy d'Assirie ; qu'il n'oseroit montrer à Ciaxare, pour beaucoup de choses qu'elle disoit. Il n'en fit pourtant pas semblant : et comme il fut rentré dans sa Chambre, choisissant d'entre des Tablettes de bois de Cedre, de plomb, et d'escorce de Philire, les plus magnifiquement enrichies ; (car toute l'Antiquité ne connut jamais papier ni encre) et prenant un de ces Burins que les Anciens appelloient un Style ; il en escrivit ces mesmes paroles.ARTAMENE AU ROY D'ASSIRIE.Je ne manque jamais à ce que j'ay promis, non plus qu'à ce que je dois : ainsi vous devez estre assuré, de me voir observer inviolablement, toutes les choses dont nous sommes convenus. Je souhaite seulement, que nous soyons bien tost en estat, de disputer un prix dont je suis indigne : mais que personne ne possedera pourtant jamais, que par la mort.D'ARTAMENE.Ces Tablettes estant cachetées, il les donna à cét homme qui luy avoit apporté les autres ; qui s'estant approché de son oreille, luy dit qu'il avoit ordre du Roy d'Assirie, de luy apprendre, en cas qu'il eust quelque chose à luy mander, qu'il s'estoit retiré à Pterie : Ville dont Aribée avoit esté Gouverneur aussi bien que de Sinope, et qu'il avoit remise en ses mains. Apres cela cét homme sortit ; et Artamene sortant aussi, continua de faire le tour de la Ville ; pour s'en aller à un Temple, à une stade de Sinope ; qui luy estoit considerable, pour plus d'une raison ; puis que c'estoit le lieu, où il avoit commencé d'aymer. De là, sans sçavoir precisément ce qu'il cherchoit, ny ce qu'il faisoit ; il se mit à suivre le bord de la Mer, du costé que la Galere, qui avoit enlevé sa Princesse avoit pris sa route : pendant cette promenade melancholique, il s'entretenoit avec les deux fidelles Compagnons de ses avantures, le sage Chrisante, et le hardy Feraulas. Fut il jamais un temps, leur dit il, ny mieux ny plus mal employé que celuy que nous avons passé, depuis que nous sommes arrivez à Sinope ? Car enfin, par le nombre des choses qui m'y sont advenuës en si peu de momens, s'il faut ainsi dire, il est impossible de passer jamais aucun jour avec plus d'occupation mais aussi pour le peu d'utilité que je retire de cét employ, je ne pense pas que jamais personne ait si mal occupé sa vie. Je m'imagine venir delivrer ma Princesse, et je la trouve selon les apparences, dans un danger espouvantable : si j'en crois la crainte qui faisoit mon coeur, je la voy dans les feux et dans les flames ; et je la voy mesme reduite en cendre, aussi bien que la Ville où elle estoit. Apres je la voy ressuscitée ; je travaille à la sauver ; je combats ; j'esteins les flames qui apparamment la veulent devorer : et puis à la fin il se trouve que je ne delivre que mon Rival, et que je le delivre en un estat, qui ne me permet pas mesme de m'en vanger avec honneur. Enfin je voy un autre Ravisseur de ma Princesse, que je ne puis suivre : et peu apres je me voy sans Rival prisonnier, comme sans Maistresse delivrée. Dans le moment qui suit, je change encore d'estat : je fais des voeux pour Mazare, dont j'avois desiré la perte : et au mesme instant je le haïs plus que je ne faisois. O Destins ! rigoureux Destins ! determinez vous sur ma Fortune : rendez moy absolument heureux, ou absolument miserable : et ne me tenez pas tousjours entre la crainte et l'esperance ; entre la vie et la mort. Seigneur, luy dit alors Chrisante, apres tant de maux que vous avez soufferts, ou évitez ; vous devez esperer de surmonter toutes choses : et apres une si longue obstination de la Fortune à vous persecuter, adjousta Feraulas, il est à croire qu'elle se lassera bien tost. Cependant le Ciel s'estoit esclairci : et depuis qu'Artamene estoit hors de la Ville, le vent s'estoit appaisé ; et la Mer paroissoit aussi tranquile, qu'elle avoit esté agitée. Ses ondes ne faisoient plus que s'espancher lentement sur le rivage : et par un mouvement reglé elles sembloient se remettre avec respect, dans les bornes que la puissance Souveraine qui les gouverne, leur a prescrites. Artamene se resjoüissant de cette profonde tranquilité, presques avec autant de transport qu'il en eust pû avoir, s'il eust esté le Ravisseur de sa Princesse ; vit encore assez loing devant luy au bord de la Mer, plusieurs personnes ensemble : qui par leurs actions tesmoignoient avoir de l'estonnement, et estre fort occupées. Il s'avança alors, poussé d'une curiosité extraordinaire : et changeant de couleur en un instant ; que peuvent faire ces gens ? dit il à Chrisante et à Feraulas ; Seigneur, luy dirent ils, peut-estre sont-ce des Pescheurs, qui sechent, ou qui démeslent leurs filets sur le fable. Cependant Artamene s'avançant tousjours vers eux, Feraulas commença de remarquer le long de la rive, quelque débris d'un naufrage : il fit pourtant signe à Chrisante de n'en parler point à leur Maistre ; qui regardoit avec tant d'attention, ces hommes qui estoient au bord de la Mer ; qu'il ne s'aperçeut pas encore de ce que Modifié 22 février 2013 par Wundos Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Jasper 587 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) ça fait 13 pages sur Open Office, j'ai commencé à corriger mais j'ai vite abandonné! Un jour, je le corrigerais en entier.. Haha, c'est juste un extrait, la version complète compte plus de 13 000 pages! Et il y a des fautes sur chaque pages! Modifié 22 février 2013 par Jasper Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Wundos 354 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 Haha, c'est juste un extrait, la version complète compte plus de 13 000 pages! Et il y a des faute sur chaque pages! Je plainds les amoureux d'orthographe! ça serait un beau cadeau pour eux, en y pensant Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Liberty 2 455 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 Haha, c'est juste un extrait, la version complète compte plus de 13 000 pages! Et il y a des fautes sur chaque pages! Ça parle de quoi sur 13 000 pages ? Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Jasper 587 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Ça parle de quoi sur 13 000 pages ? Bah lis! J'ai mit un lien plus haut pour télécharger (légalement) le roman en entier en plusieurs formats possible (word, pdf, html, etc...). Je peux juste te dire qu'il a était écrit dans les années 1600. (Ca explique peut-être les fautes d'orthographe?) Modifié 22 février 2013 par Jasper Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Liberty 2 455 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 Bah lis! J'ai mit un lien plus haut pour télécharger (légalement) le roman en entier en plusieurs formats possible (word, pdf, html, etc...). Je peux juste te dire qu'il a était écrit dans les années 1600. Peut-être que ce n'était pas des fautes a cette époque... Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
SouthFool 5 133 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Coucou les gens. Je voulais vous faire part de ma petite critique sur le film "Die Hard : une belle journée pour mourir" que je suis allé voir hier soir. J'ai vu tous les Die Hard et je n'ai jamais été déçu... Jusqu'à présent... :hesitant: Scénario : 11/20 C'est vraiment moyen , les américains costauds qui doivent arrêter un desastre planetaire avec bien entendu des russes méchants et pas beaux qui projettent de tout détruire avec des bombes nucléaires... Bande Son : 15/20 C'est assez classique mais ca colle bien avec l'ambiance.On en attends pas plus d'un film d'action Acteurs :11/20 Déçu de Bruce Willis , il était pas en forme et on retrouvait pas son humour des précédents épisodes... Son fils joue plutot bien mais reste également moyen... C'est vraiment du gros bourrin ... Dialogues: 9/20 Le gros point noir du film à mon sens... C'est vraiment pas trop riche en répliques epiques comme je l'attendais... Ma note globale n'est pas une moyenne des critères ci dessus... En gros j'attribue un 11/20 à ce film qui m'a un peu déçu ca reste un gros film à pognon qui s'éloigne des autre episodes.. C'est dommage parce que le premier Die Hard reste le meilleur... Vous êtes allé le voir? Modifié 22 février 2013 par JustShot1 Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Wundos 354 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) J'étais préssée de le voir, vu que j'ai toujours aimé, surtout le 1, comme tout le monde, je pense, mais là... C'était bofbof à ce point ou ça va quand même pour aller le voir au ciné? Modifié 22 février 2013 par Wundos Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
SouthFool 5 133 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 J'étais préssée de le voir, vu que j'ai toujours aimé, surtout le 1, comme tout le monde, je pense, mais là... C'était bofbof à ce point ou ça va? C'est pas un très mauvais film mais j'ai pas senti autant d'humour et l'ambiance des précédents.... C'est moyen quoi... Trop bourrin et pas très poussé... Après c'est une critique personelle. Je te conseille d'aller voir des sites comme AlloCiné ou de demander autour de toi... Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Wundos 354 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 C'est pas un très mauvais film mais j'ai pas senti autant d'humour et l'ambiance des précédents.... C'est moyen quoi... Trop bourrin et pas très poussé... Après c'est une critique personelle. Je te conseille d'aller voir des sites comme AlloCiné ou de demander autour de toi... Justement j'avais été voir et ça reste mitigé.. Tant pis au pire, je te dirais ce que j'en ai pensé Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
KevFB 4 476 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 Vu ta critique, JustShot, et toutes les autres que j'ai pu lire, je ne pense pas que je vais aller le voir. Déjà que la bande-annonce ne me donnait vraiment pas envie. Les trois premiers sont vraiment biens, ma préférence va aussi à Piège de cristal, mais le quatre, je l'avais trouvé moyen. Je pense qu'ils auraient dû s'arrêter là plutôt que d'essayer d'exploiter encore le filon. (un peu comme Indiana Jones 4) Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Wundos 354 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 C'est souvent comme ça avec les suites de film de tout façon, c'est jamais aussi bien que les premiers! Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Liberty 2 455 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Coucou les gens. Je voulais vous faire part de ma petite critique sur le film "Die Hard : une belle journée pour mourir" que je suis allé voir hier soir. J'ai vu tous les Die Hard et je n'ai jamais été déçu... Jusqu'à présent... :hesitant: Scénario : 11/20 C'est vraiment moyen , les américains costauds qui doivent arrêter un desastre planetaire avec bien entendu des russes méchants et pas beaux qui projettent de tout détruire avec des bombes nucléaires... Bande Son : 15/20 C'est assez classique mais ca colle bien avec l'ambiance.On en attends pas plus d'un film d'action Acteurs :11/20 Déçu de Bruce Willis , il était pas en forme et on retrouvait pas son humour des précédents épisodes... Son fils joue plutot bien mais reste également moyen... C'est vraiment du gros bourrin ... Dialogues: 9/20 Le gros point noir du film à mon sens... C'est vraiment pas trop riche en répliques epiques comme je l'attendais... Ma note globale n'est pas une moyenne des critères ci dessus... En gros j'attribue un 11/20 à ce film qui m'a un peu déçu ca reste un gros film à pognon qui s'éloigne des autre episodes.. C'est dommage parce que le premier Die Hard reste le meilleur... Vous êtes allé le voir? Je ne l'ai pas vu et j'avoue ne pas avoir envie d'aller le voir, car Bruce Willis est trop vieux, il est plus posé maintenant, c'est plus le surexcité des temps passé, sans cette vitalité Die Hard n'a pas lieux d'être, sérieux, on dirait que si il fait une galipette il va y perdre des côtes... Modifié 22 février 2013 par LibertyG100 Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
SouthFool 5 133 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 Par contre un film que je vous conseille : "Flight" Il est passé inaperçu je trouve... Un film vraiment sympa , y'a pas d'action (sauf au début lors du crash...) mais l'histoire est vachement bien foutue et touchante avec un peu d'humour. En plus c'est Denzel Washington le héros (ou pas) , une valeur sûre! Je voulais aller voir Django mais j'ai plus de sous... Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
TheFighter 11 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Elle est belle ma nouvelle photo de profil? Je vais le voir demain Flight..Et je vois de ces notes!! Qui pour un grand Skype demain?? Modifié 22 février 2013 par TheFighter Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
Blueprint 2 544 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 J'aimerais vous faire partager une vidéo (je l'avais déjà fait il y a plusieurs mois, mais je la remets pour les nouveaux ). Elle s'appelle Powers of ten (puissances de dix), et montre la taille de l'univers que l'on connait. La caméra va reculer, et chaque cercle est dix fois plus grand que le précédent (plus grand d'une puissance de dix). Après il y a la même chose, mais vers le minuscule, jusqu'à l'atome, etc... Je l'aime beaucoup parce qu'elle aide à imaginer la taille de l'univers... et surtout la notre... Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
RVdelaVDA 2 604 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) C'est impressionnant cette vidéo.. Bizarrement, les planètes me font penser à des atomes, et les galaxies à des groupes d'atomes.. Tien en parlant de ça j'ai une question bien corsé pour le Quizz ! Modifié 22 février 2013 par RVdelaVDA Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
KevFB 4 476 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 (modifié) Impressionnante cette vidéo. A regarder en 1080p et en plein écran. Merci Blue' ! Quand je pense qu'on râle pour un jeu vidéo repoussé de quelques mois ; il suffit de regarder cette vidéo pour se rappeler que tout ça ne représente presque rien. Modifié 22 février 2013 par KevFB Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites
SouthFool 5 133 Signaler ce message Posté(e) 22 février 2013 Vidéo impressionnate Blueprint Regardez aussi celle-ci , c'est une comparaison des planètes connues à ce jour. Partager ce message Lien à poster Partager sur d’autres sites